Sans conteste, l’insuffisance cardiaque et les nouvelles technologies ont tenu le haut du pavé lors des 25es Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie (Paris, 14-17 janvier 2015). Les Prs Alain Carpentier et Christian Latrémouille ont présenté les bons résultats du deuxième patient implanté avec un cœur CARMAT en août 2014, ouvrant la voie à l'implantation de deux autres patients. Un autre chirurgien cardiaque, le Pr Philippe Menasché (HEGP) a fait le point sur une nouvelle étape de la thérapie cellulaire.
La renaissance de la thérapie cellulaire
Après l'échec des différents essais menés avec des cellules issues de la moelle osseuse puis des myoblastes, les recherches se sont tournées vers des cellules pluripotentes embryonnaires vivantes susceptibles de se différencier en cardiomyocytes. La voie d'administration a, elle aussi, évolué puisqu'elles ne sont plus administrées par injections myocardiques, mais incluses au sein d'un patch de fibrine glissé au contact du myocarde lésé dans une poche sous-épicardique afin de leur amener des facteurs trophiques. Les inclusions dans l'étude sont difficiles, puisque les patients doivent être en insuffisance cardiaque sévère, avoir l'indication d'un acte de chirurgie cardiaque coronarien ou valvulaire au cours duquel est réalisée la greffe, et être équipés d'un défibrillateur implantable.
La première greffe a été pratiquée chez une patiente de 68 ans requérant un pontage en octobre 2014. Les suites ont été simples, avec un traitement immunosuppresseur de deux mois. À trois mois on constate une amélioration de la fonction VG et de la classe NYHA (passage de la classe III à la classe II). Le Pr Menasché reste cependant réservé : « C'est un signal encourageant, mais on ne peut tirer des conclusions définitives d'un seul cas. Et on ne peut négliger le rôle du pontage dans cette amélioration ».
La thérapie génique soulève aussi quelques espoirs après les premières études de phase 1 et 2 menées sur le transfert du gène SERCA2 (gène codant pour la protéine responsable de la réentrée du calcium dans le réticulum cytoplasmique) via le vecteur AAV1 (Adeno-associated virus de type 1) par injection intra-coronaire. L'amélioration fonctionnelle est rapide et s'accompagne d'une réduction significative des événements cliniques à 2 et 3 ans. L'essai AGENT-HF?(AAV1-CMV-Serca2a GENe Therapy trial in Heart Failure) est actuellement en cours dans cinq centres parisiens sous la houlette du Pr Jean-Sébastien Hulot( hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris). Il est mené vs placebo chez des insuffisants cardiaques en classe III/IV de la NYHA, à condition que le dosage des anticorps anti-AAV (présents chez près de la moitié des personnes) soit
négatif.
Le critère principal concerne la modification des volumes ventriculaires mais de très nombreux paramètres cliniques, biologiques, échographiques, etc., seront très précisément analysés. D'autres cibles que le SERCA2 sont actuellement à l'étude. « À l'avenir, la thérapie génique pourrait s'intéresser aux gènes contrôlant les facteurs stimulant les progéniteurs cardiaques présents dans le myocarde et les vaisseaux
afin de limiter le remodelage délétère », espère le cardiologue.
Côté médicaments, après le succès de PARADIGM-HF où le LCZ696 (associant au valsartan le sacubritil, un inhibiteur de la néprilysine) réduisait la mortalité de 20 % par rapport à l'énalapril, d'autres produits suscitent aussi l'intérêt. Deux molécules anti-aldostérone sont actuellement en développement. Non stéroïdiennes, elles impactent moins la fonction rénale, la kaliémie et réduisent plus efficacement le NTproBNP. Par ailleurs le ZS-9, premier d'une nouvelle classe thérapeutique, est un cristal inorganique captant les ions potassium qui permettrait de faire face aux hyperkaliémies.
La prévention primaire, pas si claire
La prévention primaire a aussi été largement abordée lors du congrès. Et force est de constater qu’en la matière, tout n’est pas encore très clair. En ce qui concerne les statines, le Pr Jean Ferrières (Toulouse) déplore qu'elles laissent souvent dubitatifs les médecins en prévention primaire. Pourtant, l'étude prospective PRIME avait montré que la mortalité globale à 10 ans est significativement diminuée par le traitement hypolipidémiant par rapport aux personnes non traitées. Une revue Cochrane de 2013 confirme que la prise en charge de l'hypercholestérolémie en prévention primaire diminue de 14 % la mortalité et de 25 % les événements cardiovasculaires (CV). En fonction du risque CV, pour éviter un événement, il faut traiter pendant
5 ans 167 patients lorsque le risque est <5 %, 67 s'il se situe entre 5 et 10 % et 32 entre 10 et 20 %.
Mais qui et quand traiter ? Une population de plus en plus large semble-t-il, comme le préconisent les dernières recommandations américaines et britanniques. «?En France, lorsque le risque est inférieur à 10 %, on préconise d'agir en premier sur le mode de vie. Mais il est illusoire de tabler sur une modification de l'alimentation pour réduire le LDL. Si on se base sur les recommandations de l'ESC qui vise un LDL à 1.15 mg/dl en prévention primaire pour un risque inférieur à 5 %, tout plaide pour une large prescription d'hypolipémiants, remarque le cardiologue.
Quant à savoir s'il faut oublier les chiffres de LDL comme dans les recommandations américaines, c'est une discussion plus philosophique que scientifique. Et on préfère suivre l'évolution sous traitement et savoir jusqu'où aller dans la baisse du LDL »
Pour l’aspirine, en prévention primaire, les avis divergent aussi. Même si elle n’a pas l’AMM dans cette indication, les recommandationss HAS de 2012 la préconisent chez les sujets à risque CV élevé. Mais les guidelines européennes publiées la même année plaident dans le sens inverse tandis qu’en 2014 la FDA réitérait son opposition à la prescription d'aspirine en prévention primaire.
Pour le Dr François Diévart (Dunkerque) qui s’exprimait sur le sujet lors du congrès : « l’aspirine n'a jamais fait la preuve d'un rapport bénéfice/risque favorable en prévention primaire, y compris chez le sujet à haut risque ou chez le diabétique, le faible gain sur les IDM étant contrebalancé par les risques hémorragiques digestifs et cérébraux ».
L'étude PHS avait pourtant montré que l’aspirine en prévention primaire réduit significativement les IDM sans impact sur les AVC. L'étude WHI faisait le constat inverse chez les femmes, mais sans aucune réduction de la mortalité dans les deux études. Une revue de 6 études (95 000 personnes) menée par l'Antithrombotic Trialists’ Collaboration retrouvait quant à elle une réduction du risque relatif de 12 % des événements (essentiellement des IDM non fatals), une petite diminution des AVC ischémiques compensée par une augmentation des AVC hémorragiques, une augmentation des hémorragies extra-cérébrales et une mortalité CV inchangée. Des résultats confirmés par une étude japonaise présentée à l'AHA 2014. Après un suivi de 6 ans chez des patients à risque CV élevé, les complications CV ne sont pas modifiées tandis que le risque d'hémorragies sévères, en particulier digestives est significativement majoré. Les résultats de deux études en cours, ASPREE et ARRIVE permettront peut-être d’y voir plus clair.
Pour l’aspirine comme pour les statines, la prescription se base sur des scores de risque dont il existe divers modèles. Mais, là encore, elle reste perfectible. Le pape des scores et de la prévention CV, le Pr Ian Graham(Dublin) a dressé un tableau plutôt critique de la table SCORE utilisée en Europe. Celle-ci ne prend pas en compte de nombreux critères comme le HDL-C, l'IMC, les antécédents familiaux, l'insulino-résistance ou le diabète, se base sur des cohortes déjà anciennes, se focalise sur la mortalité à 10 ans et néglige la morbidité. Or, d'après le SCORE-plus, on estime globalement que le risque d’événements CV graves est multiplié par trois par rapport au risque de mortalité.
Un nouveau score de risque européen, le Heartscore
Dans ce contexte, l'European Society of Cardiology et l'European Association for Cardiovascular Prevention ont élaboré un nouveau score, le HEARTSCORE destiné à évaluer le risque d'AVC et d'accidents coronariens. Interactif, disponible en ligne ou téléchargeable (heartscore.org), ce nouveau venu dispose de versions spécifiques à chaque pays. Il inclut de nombreuses variables et permet de visualiser l'impact relatif des différents facteurs de risque et le bénéfice potentiel des interventions, constituant ainsi un outil intéressant pour l'éducation thérapeutique.
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