Infectiologie

Arboviroses à Aedes : entre vaccins et lutte antivectorielle, la riposte s'organise

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Publié le 16/06/2023
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Face à la montée inéluctable des arboviroses à Aedes, l'ANRS-MIE a fait le point sur les enjeux de recherche, alors que la France occupe une position particulière en Europe. La prévention via la lutte antivectorielle et les vaccins occupe une place prépondérante.
La prévention contre les arboviroses passe aussi par le nettoyage des jardins avec la chasse aux contenants d'eau

La prévention contre les arboviroses passe aussi par le nettoyage des jardins avec la chasse aux contenants d'eau
Crédit photo : BURGER / PHANIE

Dengue, Zika et chikungunya, les arboviroses à Aedes vont, avec l'omniprésence d'Albopictus, augmenter en outre-mer et en métropole. Après le Comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires (Covars) qui a sonné l'alerte dans un avis en mars, l'ANRS-MIE, à son tour, a livré son analyse côté recherche. « La recherche sur les arboviroses ne peut être qu'interdisciplinaire puisqu'il est question de vecteurs, d'hommes et d'environnement, explique le Pr Xavier de Lamballerie, virologue et chercheur, directeur de l’unité des virus émergents à Marseille, lors d'un point presse de l'ANRS-MIE. L'environnement a une grande importance via la température et l'humidité, mais aussi les réservoirs animaux. »

La France, du fait de ses territoires ultramarins, se distingue en Europe par son expertise dans la lutte antivirale et la prise en charge des patients, « puisqu'aucun autre pays n'a de circulation virale sur son territoire », précise le coordinateur du groupe sur la recherche préclinique à l'ANRS-MIE. « Si la recherche sur les arboviroses est restée peu financée au cours des dernières décennies, elle est bien structurée, ajoute-t-il. Arbo-France est un réseau d’étude des arboviroses au sein de l'ANRS-MIE. » Autre particularité de la recherche sur les arboviroses pour le spécialiste : l'implication des sciences humaines et sociales.

La coordination entre équipes de métropole et d'outre-mer est l'un des grands enjeux, alors que le risque d'arboviroses « va augmenter sans cesse », rappelle le Pr de Lamballerie, pointant même des menaces nouvelles et importantes telle la fièvre hémorragique de Crimée-Congo. « Il existe des cas en Espagne de cette arbovirose transmise par des tiques, développe-t-il. Il n'y a pas encore de cas en France mais c'est inéluctable, le vecteur est retrouvé sur le territoire. »

Des approches innovantes contre les moustiques

La prévention contre les arboviroses peut se déployer selon plusieurs axes : la diminution de l'exposition aux vecteurs, qui passe à la fois par les comportements (vêtements longs, répulsifs, moustiquaires, nettoyage des jardins avec la chasse aux contenants d'eau) et les diverses stratégies pour réduire la population des moustiques ; la diminution de l'infection par le pathogène chez les vecteurs ; et la diminution de la susceptibilité aux infections via la vaccination ou une chimioprophylaxie, cette dernière présentant « un intérêt pour les voyageurs, des populations à risque comme les immunodéprimés mais pas en solution générale », précise le Pr de Lamballerie.

Pour diminuer la densité des moustiques, les méthodes classiques reposent sur les pièges qui miment l'odeur humaine ou à CO2 et les insecticides (DDT, organophosphorés, deltaméthrine). « La population accepte mal les insecticides, commente le Pr de Lamballerie. Si les cas augmentent, il faudra aller vers des techniques alternatives. »

De nouvelles approches sont ainsi développées depuis quelques années. « Le lâcher de mâles rendus stériles par irradiation qui donne une descendance non viable a été testé sur toute l'île de la Réunion », décrit Anna-Bella Failloux, professeure d'entomologie médicale et directrice de l'unité Arbovirus et insectes vecteurs à l'Institut Pasteur.

Une autre méthode consiste à inoculer la bactérie Wolbachia, qui existe de façon naturelle chez la drosophile et protège l'insecte contre l'infection par les arbovirus. « Les chercheurs australiens l'ont testée en 2011 et depuis il y a moins de dengue dans le pays, explique l'entomologiste. Puis 13 pays l'ont utilisée dans le cadre du World Mosquito Program, en particulier le Brésil qui a lâché cinq milliards d'Aedes aegypti avec Wolbachia à l'aide d'usines à moustiques. En Nouvelle-Calédonie, il n'y a plus que des moustiques avec Wolbachia dans la ville de Nouméa. »

Autre possibilité mais beaucoup moins populaire : les moustiques génétiquement modifiés. L'Université d'Oxford a mis au point une technique qui a été utilisée en 2016 contre le Zika au Brésil. « Il y a eu une grosse polémique, la population n'adhère pas à ce genre d'approche », rapporte Anna-Bella Failloux.

La combinaison vecteur/pathogène devient plus compétente

L'arrivée de clusters de dengue en métropole a changé la donne pour la recherche. « L'analyse des cas est très instructive, explique le Pr de Lamballerie. Mais le système de surveillance et de lutte antivectorielle autour des cas est dimensionné pour quelques foyers. Si les clusters se multiplient, le système de soins ne sera pas débordé - il n'y a pas beaucoup de cas sévères - mais il sera difficile de continuer ainsi. Il faudra faire évoluer la méthodologie et optimiser la stratégie. D'autant qu'il y a des impacts de santé publique inattendus mais non négligeables, comme l'interdiction de don de sang et d'organes pour les personnes résidant dans un certain périmètre autour d'un cluster. »

Pour Anna-Bella Failloux, les clusters en métropole mettent en lumière des évolutions. « La combinaison moustique/pathogène semble devenir plus compétente avec une meilleure adaptation dans un environnement de plus en plus favorable, décrit-elle. De plus, les moustiques, qui piquaient traditionnellement en début et fin de journée, semblent le faire toute la journée. Les contacts sont alors de plus en plus rapprochés, augmentant le nombre possible d'hôtes et le risque d'infection. »

Un usage renforcé des vaccins attendu

Quant aux vaccins, « il y aura un usage renforcé dans les années qui viennent, estime le virologue. Il y a encore beaucoup de travail, ils n'en sont qu'à leurs débuts mais dans les cinq ans qui viennent, la situation sera différente. » Il existe déjà trois vaccinations recommandées pour les arboviroses : « contre la fièvre jaune depuis les années 1930, l'encéphalite japonaise avec plusieurs vaccins efficaces et l'encéphalite à tique », détaille le Pr de Lamballerie.

Mais qu'en est-il pour la dengue, le Zika et le chikungunya ? Pour la dengue, il existe deux vaccins autorisés par l'Union européenne, celui de Sanofi et celui de Takeda. Mais « ils sont imparfaits, indique le virologue. Il faudra beaucoup de recherche clinique pour préciser le meilleur usage, dans quelle population, pour quel âge et à quelle fréquence. » Le vaccin de Sanofi (Dengvaxia) est autorisé de l'âge de 6 à 45 ans, avec la preuve documentée virologiquement d'une infection antérieure.

« Le vaccin protège contre une infection ultérieure les sujets ayant déjà rencontré le virus, explique le Pr de Lamballerie. Alors que la vaccination se comporte comme une primoinfection, le risque de forme sévère est augmenté lors d'une deuxième infection, en particulier chez les jeunes enfants. » De plus, le vaccin protège contre les quatre sérotypes mais de façon plus efficace pour les 3 et 4.

Quant au vaccin de Takeda (Qdenga), il est autorisé à partir de 4 ans indépendamment d'une infection antérieure, mais est « plus efficace sur les sérotypes 1 et 2 que les 3 et 4 », indique le Pr de Lamballerie, ajoutant qu'un troisième vaccin est en développement au Brésil.

Pour le chikungunya, deux vaccins « très intéressants », l'un par le français Valneva et l'autre par un laboratoire indien, sont dans leurs dernières phases de développement. Quant au Zika, il n'y a pas de vaccin en lice, d'une part en raison « des précautions chez les femmes enceintes vis-à-vis des troubles neurodéveloppementaux fœtaux possibles » et d'autre part en raison « des interactions possibles avec la dengue », le vaccin devant cibler les deux virus.

Et pour ce qui est des antiviraux, c'est « une feuille blanche », indique le Pr de Lamballerie. La molécule développée par Janssen contre la dengue, la première proposée, semble avoir « une efficacité remarquable chez les primates non humains ». Ces résultats devraient ouvrir la voie à d'autres recherches, espère le virologue.


Source : lequotidiendumedecin.fr