Le service d’addictologie du CHU de Nîmes lance une étude d’évaluation de la psychothérapie assistée par psychédélique, ici la psilocybine. Une première en France, alors que les recherches françaises sur ces substances aujourd’hui illicites se sont taries depuis les années 1960.
L’objectif de cette étude pilote est d’évaluer la faisabilité sur le territoire et l’efficacité préliminaire de ce type de psychothérapie dans la prévention des rechutes d'alcool chez les personnes récemment sevrées et souffrant de signes de dépression persistante.
Mieux comprendre les mécanismes d’action de la psilocybine
Cet essai randomisé devrait commencer le 1er février. Un appel à participants a été lancé. Les 30 patients retenus recevront aléatoirement soit deux fortes doses de psilocybine (25 mg) à 3 semaines d’écart, soit (pour un patient sur trois) deux très faibles doses (1 mg) pour le bras contrôle. Dans les deux bras, les prises seront associées à une préparation au préalable et à un accompagnement psychothérapeutique en continu durant la session psychédélique. Entre les deux sessions, ils bénéficieront également d’un programme de prévention pour éviter les rechutes alcooliques. Leur consommation d’alcool, notamment une reprise éventuelle, l’intensité des signes de dépression, la qualité de vie et différents éléments portant sur la régulation des émotions seront mesurés durant l’étude et trois mois après. « Une évaluation avec un électroencéphalogramme permettra de mieux comprendre les mécanismes d’action de la psilocybine au niveau cérébral », ajoute la Dr Amandine Luquiens, addictologue au CHU de Nîmes et en charge de cette étude.
Elle précise que certaines hypothèses mécanistiques se démarquent. En complément de l'action agoniste sérotoninergique 5-HT2A des psychédéliques, d’autres facteurs entreraient en jeu dans le traitement de la dépression et des troubles d’usage de l’alcool. « On suppose qu’il y a une action sur l’inflammation (immédiate et en différé, quelques jours après la prise de psychédélique) et sur la neurogenèse qui s’ajoute à une modulation d’un certain nombre de neurotransmetteurs notamment sérotoninergiques qui sont impliqués dans la régulation de l’humeur et dans la gestion de la récompense », explique la Dr Amandine Luquiens.
Un effet thérapeutique maintenu jusqu’à trois semaines
Elle développe : « Au-delà des modifications sur les marqueurs d’inflammation et sur les neurotransmetteurs, l’action ne se limite pas au moment de la prise : il y a des modulations qui ont lieu tous les jours et cela pendant près de trois semaines. » Ces effets subaigus, appelés afterglow, vont maintenir le patient dans l’état thérapeutique. Il présenterait alors une flexibilité cognitive et psychologique augmentée qui facilite l’acquisition de nouveaux comportements et les mécanismes d’apprentissage. La psilocybine devrait ainsi servir de tremplin à la psychothérapie, avec un « effet de booster ». Les premiers résultats seront disponibles d’ici un an.
« Nous avons eu un financement de l’Institut pour la recherche en santé publique (IReSP) et de l’Institut national du cancer (INCa) ainsi que de l’Agence nationale de la recherche (ANR, via l'appel era-net neuron), il y a deux ans. Le délai est plutôt habituel pour la mise en place d’une étude clinique », se réjouit-elle, remerciant le CHU de Nîmes qui les a particulièrement soutenus. « Le comité éthique et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) nous ont aussi suivis avec très peu de commentaires. Sur le plan réglementaire, nous n’avons eu pas eu de difficultés, les démarches ont été relativement rapides pour un essai avec un stupéfiant interdit de consommation courante. Étonnamment », ajoute-t-elle en riant. Elle le justifie par le « design très prudent » de l’étude. Ainsi, les patients seront hospitalisés dès le jour de la première prise de psilocybine et jusqu’à la seconde, trois semaines après. La Dr Amandine Luquiens pointe toutefois une difficulté : se procurer de la psilocybine. « Ce n’est pas un médicament à usage courant ! »
Très peu d’effets secondaires physiques connus
Elle insiste, recontextualisant l’étude : « Il ne s’agit pas d’un usage récréatif. Les patients ne sont pas livrés à eux-mêmes avec la substance, qui peut être assez éprouvante ». Sous psychédélique, certains souvenirs difficiles et émotions négatives peuvent ressurgir. Il s’agit d’une thérapie d’exposition. « Il est donc important d’être préparé et accompagné sur le plan psychothérapeutique, dans un environnement rassurant. Après cette étape nécessaire, les émotions deviennent positives et constructives. Le traitement est largement tolérable », nuance la Dr Amandine Luquiens. Sur le plan physique, les études montrent peu d’effets secondaires, notamment en comparaison avec une prise chronique d’antidépresseurs. « On parle de deux prises seulement par rapport à des traitements quotidiens étalés sur plusieurs mois. D’autre part, l’efficacité semble immédiate d’après les données existantes. »
Selon l’état actuel des connaissances sur les psychédéliques, la psilocybine, retrouvée dans les champignons hallucinogènes, a le meilleur profil de tolérance, précise la Dr Amandine Luquiens. « De plus, un certain nombre de données au niveau international ont montré son efficacité, notamment dans la dépression résistante et plus récemment dans les troubles liés à l’usage d’alcool », ajoute-t-elle. Les psychothérapies assistées par psychédéliques (notamment LSD ou psilocybine) sont déjà pratiquées en Suisse. Il s’agit d’un usage dit « compassionnel », demandé pour un patient qui serait en échec avec d’autres approches. Il n’existe toutefois aucune étude de large ampleur dans ce pays.
La médecin cite une étude américaine, publiée en 2022 dans Jama Psychiatry, mais les patients n’étaient pas sevrés au moment de l’inclusion et ne présentaient pas forcément de signes de dépression. « C’est tout l’intérêt de notre étude : avancer sur des données préliminaires d’efficacité. Cela dit les résultats de cette équipe sont vraiment encourageants et laissent espérer qu’on aura des résultats positifs. »
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