Brève

Jean de Kervasdoué : l’épidémie est la parfaite démonstration de la totale inutilité du principe de précaution

Par
Publié le 27/04/2020
Covid-19

Covid-19
Crédit photo : arnaud janin

Toute d’abord, je souhaite, avec beaucoup d’autres, dire mon admiration et ma gratitude à tous ceux qui ont répondu présents, qui ont pris des risques, qui ont fait face : les soignants d’abord, mais aussi les chercheurs, les gestionnaires, les logisticiens, les informaticiens, les ambulanciers, les laborantins, les manipulateurs de radiologie… tous. Le système de soins a réagi et a su faire face, notamment dans l’est de la France, à un développement brutal de l’épidémie.

Ma deuxième remarque sera peut-être moins attendue du lecteur, en effet il me semble que l’épidémie est la parfaite démonstration de la totale inutilité du principe de précaution1. Oui, quand la réalisation d’un dommage est incertaine, il n’est pas possible de prendre des mesures proportionnées ! Ce qui est incertain le demeure. Or les conséquences cliniques et épidémiologiques de ce virus Sars-cov-2 étaient et sont, à plus d’un titre, incertaines : les connaissances de l’humanité en virologie sont très limitées, même si ce virus a été séquencé en quelques semaines. Ainsi, à quoi « proportionner » ces mesures ? En outre, la dimension médicale de ce seul risque ne peut pas jamais suffire, la décision d’Emmanuel Macron de rouvrir partiellement les écoles le 11 mai l’illustre. Il a pris en compte d’autres dimensions que la seule maîtrise de l’épidémie : elles sont sociales, économiques, éducatives, politiques…

On pourrait également illustrer cette faillite en évoquant le stockage des masques ou en comparant les mesures prises par les différents Etats pour contenir l’épidémie ; tous voulaient protéger leur population, or les mesures qu’ils ont prises ont varié d’un pays à l’autre. En Chine ou ailleurs, il n’a pas été nécessaire de faire voter un principe, fût-il de précaution, pour agir en cas d’incertitude et soupeser les risques. Il s’agit toujours d’arbitrer entre les risques (risk/trade-off) connus, sans tout sacrifier à la seule dimension médicale, même si elle est essentielle. Le principe de précaution était et est toujours dangereux parce qu’il peut être invoqué à tout moment par n’importe qui et conduire à des mesures coûteuses et inadaptées ou, à l’inverse, à un manque de prudence2.

La troisième - parce qu’il faut ici me limiter - est, là encore, une de mes obsessions de longue date : l’importance cruciale des mécanismes de rationnement. Chacun a découvert que les soignants, les lits, les respirateurs, les masques, les tests… étaient en quantité limitée et qu’il fallait les rationner et ce faisant expliciter les choix. Il était d’ailleurs fascinant de voir que, quand un journaliste demandait à un réanimateur s’il triait ses malades, ce dernier répondait naturellement que c’était toujours le cas ; or comme cette réponse est socialement inacceptable, tant la croyance en l’abondance infinie est commune, que le médecin changeait de sujet, il savait qu’il n’était pas entendu. Oui, la santé est rationnée aujourd’hui, elle l’était hier et il est plus que jamais utile de se pencher sur ses mécanismes de rationnement3.

 

 

[1] Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » 
[2] Jean de Kervasdoue, Les prêcheurs de l’apocalypse, Plon 2007.
[3] Jean de Kervasdoué, Didier Bazzocchi, La santé rationnée - un mal qui se soigne, Economica, 2018.


Source : lequotidiendumedecin.fr