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Dossier

Périnatalité

À Montreuil, accompagner les mères, un levier contre la prématurité

Par Elsa Bellanger - Publié le 15/09/2023
À Montreuil, accompagner les mères, un levier contre la prématurité

Un suivi personnalisé des mères vulnérables diminue de 30 % le risque de prématurité
BURGER/PHANIE

L'équipe de gynécologie-obstétrique du centre hospitalier intercommunal de Montreuil (Seine-Saint-Denis) a réussi à réduire la prématurité et la morbidité néonatale, grâce à un accompagnement maternel personnalisé.

Isolement, logement précaire, absence de ressources financières et sociales, immigration récente, violences intrafamiliales, handicap, addictions… « Quand les femmes accumulent les difficultés, la grossesse passe au second plan », résume le Dr Bruno Renevier, du service de gynécologie-obstétrique du centre hospitalier intercommunal de Montreuil (Seine-Saint-Denis).

Son équipe expérimente depuis plusieurs années le déploiement d’une unité d’accompagnement personnalisé (UAP), proposant une intervention spécifique à chaque femme pour réduire l’impact des risques sociaux sur la prématurité et la morbidité néonatale. Les résultats obtenus par cette unité sont publiés dans BMC Pregnancy and Childbirth (1). Selon cette étude rétrospective, quand les femmes vulnérables bénéficient d’un accompagnement adapté à leur situation, le niveau de risque médical et obstétrical se réduit de 30 à 50 %.

Depuis 2012, la mortalité infantile (chez les nourrissons de moins d'un an) ne régresse plus en France. Elle s’établissait à 3,7 décès pour 1 000 naissances vivantes (3,7 ‰) en moyenne sur la période 2019-2021, selon des données de l’Insee publiées en juin dernier. Historiquement bas, ce taux reste pourtant supérieur à la moyenne européenne et a même connu une légère hausse entre 2014 et 2017. Une étude publiée en 2022 dans The Lancet (2) alertait sur cette augmentation qui concerne en particulier la mortalité dans les premiers jours de la vie.

En Île-de-France, une étude de l’Observatoire régional pointe une évolution préoccupante de la mortalité infantile particulièrement marquée en Seine-Saint-Denis. Pour en comprendre les causes et proposer des pistes d’action, l’agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France a lancé le projet Rémi (pour Réduire la mortalité infantile et périnatale en Île-de-France), avec une déclinaison prioritaire dans le département de la Seine-Saint-Denis où la mortalité infantile est particulièrement élevée. C'est dans ce cadre qu'a été montée l'expérimentation de Montreuil. 

Des interventions coordonnées

La démarche ciblait un paradoxe, expliquait alors l’ARS : la région est « richement dotée en établissements sanitaires et plateaux techniques de haut niveau », mais affiche « des indicateurs de mortalité maternelle significativement plus élevés que les autres régions de France métropolitaine ».

Selon les analyses menées, près d’un tiers des décès néonatals dans la région serait évitable. L’augmentation de la prévalence des facteurs de risque connus (diabète gestationnel, troubles vasculaires, âge maternel, obésité maternelle, grande précarité, faible poids de naissance) joue un rôle, tout comme l’organisation des soins (organisation des sorties de maternité et de service de néonatologie, articulation ville-hôpital, offre médicale insuffisante par rapport aux besoins dans certains territoires).

L’objectif des UAP est d’améliorer le suivi de la grossesse en coordonnant une équipe pluridisciplinaire au service de la patiente. Sages-femmes, obstétriciens, travailleurs sociaux, psychologues, psychiatres, addictologues, associations, protection maternelle et infantile (PMI) travaillent de concert « pour faciliter l’accès aux services dont la patiente a besoin », explique le Dr Renevier, un des co-auteurs de l’étude. « C’est une organisation complète des soins de la patiente », ajoute son confrère du service de gynécologie-obstétrique du CH de Montreuil, le Dr Simon Crequit, premier auteur.

Concrètement, les patientes bénéficient d’un interlocuteur dédié qui assure la prise de rendez-vous pour les consultations (rendez-vous médicaux et échographiques) et coordonne un suivi personnalisé en fonction des besoins (assistante sociale, psychologue, thérapeute en addictologie, etc.). « Si la patiente a un problème infectieux ou néphrologique, on s’occupe du relais avec les professionnels concernés. Toutes les consultations sont planifiées. S’il y a un problème pour s’y rendre, on fournit un ticket de métro. S’il y a une barrière liée à la langue, on fait appel à des services de traduction pour expliquer les consultations, leur intérêt. Toutes les dimensions de la vulnérabilité sociale sont prises en compte », précise le Dr Crequit.

En dehors de ce parcours, les spécificités et besoins de ces femmes cumulant les facteurs de risque sociaux et médicaux peuvent être négligés. « Le temps de prise en charge que réclament ces femmes réclament est souvent perçu comme une contrainte. Elles sont souvent mal reçues et ne reviennent pas pour le suivi. Elles finissent par accoucher en urgence dans des conditions non optimales car les pathologies sous-jacentes n’ont pas été prises en compte », poursuit le gynécologue.

Détecter les vulnérabilités

Pour évaluer le bénéfice de cet accompagnement, l’équipe de l’UAP de Montreuil a analysé les données de 3 958 femmes en situation de vulnérabilité sociale ayant accouché d'un enfant unique après 14 semaines de grossesse. Parmi elles, 686 ont bénéficié d’un accompagnement personnalisé. Ces dernières avaient en moyenne un score plus élevé de défavorisation sociale (indicateur composite où 0 signifie une absence de facteur de vulnérabilité) : 45 % avaient un score supérieur à 3, indiquant de multiples facteurs de précarité, contre 19 % dans le groupe de soins standard.

Après ajustement sur l'indice de défavorisation sociale, l'âge maternel, l'indice de masse corporelle, l'origine maternelle, le haut niveau de risque médical et obstétrical avant la grossesse, la prise en charge personnalisée était associée à un risque réduit d'accouchement prématuré < 37 semaines d'aménorrhée (aOR = 0,66), un risque réduit de naissance prématurée < 34 semaines d'aménorrhée, (aOR = 0,53). « À niveau de précarité équivalent, les patientes de l’UAP connaissent moins de prématurité, avec un effet de 30 à 50 %. L’organisation des soins autour des patientes a un impact sur leur santé », insiste le Dr Crequit, soulignant que « cet énorme travail de coordination est quasiment invisible pour la patiente ».

Ces résultats encourageants soulignent en creux l'importance de détecter au plus tôt la vulnérabilité sociale. À Montreuil, la sage-femme qui coordonne le dispositif forme les soignants du service au dépistage et au suivi des vulnérabilités, sans se limiter à la précarité administrative (logement, couverture sociale), mais en prenant aussi en compte le handicap, les addictions, les troubles anxieux, etc. Cette organisation « apporte du confort aux soignants qui, après le dépistage des vulnérabilités, vont orienter la patiente vers l’UAP, sans que cela n’entame leur temps de consultation », conclut le gynécologue.

(1) S. Crequit et al, BMC Pregnancy and Childbirth, 2023. doi.org/10.1186/s12884-023-05604-7
(2) N.Trinh et al, The Lancet, 2022. doi.org/10.1016/j.lanepe.2022.100339 (à mettre dans l'encadré

E.B.