Vaccination des soignants : le comité d'éthique mise sur la responsabilité, l'obligation seulement en dernier recours

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Publié le 11/07/2023
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Crédit photo : S.Toubon

« L'obligation vaccinale ne peut se poser qu'en dernier recours ». Ainsi le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) conclut-il son avis 144, publié ce 11 juillet, au terme de six mois de travaux. « La vaccination des professionnels de santé contre des maladies contagieuses relève d'une responsabilité consubstantielle aux métiers des secteurs sanitaires et médico-sociaux, visant à tout faire pour minimiser les risques pour les patients », est-il ajouté.

Le comité a été chargé par le ministre de la Santé François Braun en novembre dernier de réfléchir à la définition de critères permettant de justifier ou non une obligation vaccinale, tandis qu'en parallèle, la Haute Autorité de santé (HAS) travaille à la révision de l'ensemble des recommandations vaccinales chez les professionnels de santé. Un chantier ouvert dans le sillage du Covid, où une infime minorité du personnel de soins a refusé à grands cris l'obligation vaccinale exigée par la loi du 5 août 2021 ; et alors que seulement 22 % des professionnels de santé étaient vaccinés contre la grippe en mars 2022.

« Nous avons souhaité livrer un éclairage global et prospectif sur les aspects éthiques de la vaccination pour les professionnels de santé, sans se limiter au Covid », explique au « Quotidien » le Dr Laurent Chambaud, co-rapporteur de l'avis et membre du CCNE. « L'obligation vaccinale soulève un dilemme classique entre nécessité de protéger la population et importance de respecter les libertés individuelles », poursuit l'ancien directeur de l'École de hautes études en santé publique (EHESP).

Distinction entre période de crise et situation courante

Le CCNE invite à distinguer entre crise et période courante. « En situation de crise, on n'exclut pas une obligation, ce qui ne veut pas dire qu'elle doit être automatique », commente le médecin de santé publique.

L'obligation légale de vaccination, qui revient au pouvoir politique, pourrait être légitime en dernier recours en cas de crise sanitaire, à plusieurs conditions. À commencer par s'accorder sur la notion de crise : « une situation sanitaire qui représente une menace majeure et brutale pour la population et qui peut remettre en cause le fonctionnement du système de soins », propose le CCNE.

L'obligation peut être légitime même s'il persiste des incertitudes au plan scientifique sur l'efficacité du vaccin (ou qu'elle est seulement « modérée »), dès lors que les connaissances attestent au niveau populationnel des bénéfices documentés et que les risques individuels semblent faibles et font l'objet d'une vigilante étroite, est-il précisé. « En période de crise, la science est imparfaite, mais il faut l'interroger : la décision politique doit s'appuyer sur le maximum de connaissances, malgré des éléments d'incertitude qui doivent bénéficier avant tout au patient », explicite Laurent Chambaud.

À noter, une opinion différente signée par cinq membres du CCNE (dont la neurologue Sophie Crozier) considère qu'une obligation n'est éthiquement acceptable que si les essais cliniques démontrent que le vaccin bloque efficacement la transmission de l'agent infectieux et confère une immunité effective contre la maladie (et pas seulement contre les formes graves).

Autre condition sine qua non posée cette fois par la majorité du CCNE pour qu'une obligation soit légitime : la transparence de la décision. « Elle ne peut être prise qu'à l'issue d'un processus clairement expliqué, débattu et accompagné auprès des structures de santé et des organisations professionnelles », lit-on.

Former, pour responsabiliser

En contexte courant, le CCNE privilégie plutôt le recours aux recommandations vaccinales, à quelques exceptions près - comme la vaccination contre l'hépatite B exigée aujourd'hui à l'entrée des études de médecine. Le Comité rejoint sur cette ligne la HAS qui, en mars, s’est prononcée pour la levée de l’obligation de vaccination des professionnels de santé contre le Covid-19, la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, en suggérant néanmoins le maintien de l'obligation pour l'hépatite B et dans un second travail publié en juin, une obligation pour la rougeole. Le CCNE rappelle aussi que la vaccination s'inscrit dans un ensemble de mesures que doivent adopter les soignants, comme le port du masque, l'aération des locaux, l'hygiène des mains, les tests de dépistage…

Si le CCNE considère que la vaccination relève de la déontologie et de l'engagement des soignants, il reconnaît qu'il y a matière à encourager cette « éthique de la responsabilité », en développant la formation initiale et continue. « Il faut donner plus d'éléments de vaccinologie, et sensibiliser à la pratique de la responsabilité pour les professionnels et à l'éthique du care », détaille Laurent Chambaud. « Ce sont des métiers qui consistent à prendre soin d'autrui », insiste-t-il. Quant à ceux qui craindraient une confusion grandissante eu égard à la co-existence de vaccins obligatoires et recommandés : « les professionnels de santé peuvent comprendre que recommander un vaccin ne signifie pas qu'il est inutile », répond le médecin de santé publique.

Chaque établissement devrait ensuite désigner un référent vaccination alliant connaissance en vaccinologie et en éthique. « Ce serait un soutien au quotidien, en proximité, pour les professionnels de santé, calibré selon les besoins des structures », suggère Laurent Chambaud.

Enfin, ces recommandations devraient être co-construites avec les groupes professionnels cibles et les associations d'usagers, plaide le rapport. « L'exigence d'exemplarité (demandée aux soignants) doit être conçue réciproquement : les autorités politiques et sanitaires se doivent d'être exemplaires dans la manière dont elles décident, justifient et mettent en place les politiques vaccinales, a fortiori quand il s'agit d'obligations », est-il écrit.


Source : lequotidiendumedecin.fr