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Comment l'IRCAD implante la chirurgie du futur

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Publié le 08/10/2021
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En 1994, l’Institut de recherche contre les cancers de l'appareil digestif (IRCAD) ouvrait ces portes dans l’enceinte des hôpitaux universitaires de Strasbourg. Trente ans plus tard, le centre forme des praticiens du monde entier à la chirurgie laparoscopique et mini-invasive.
Environ 6 000 chirurgiens venus du monde entier se rendent à Strasbourg chaque année pour des formations

Environ 6 000 chirurgiens venus du monde entier se rendent à Strasbourg chaque année pour des formations
Crédit photo : DR

À quelques encablures de la fac de médecine strasbourgeoise, l’IRCAD met à disposition une vingtaine de robots chirurgicaux pour former des praticiens venus de toute la planète. Le credo de cet institut privé mondialement connu : des simulations de chirurgie laparoscopique et mini-invasive, grâce à des technologies d'excellence.

Quelque 6 200 chirurgiens passent chaque année entre les mains de l’IRCAD et cheminent à travers les trois étages du bâtiment, qui renferme quatre plateaux de simulation. Laparoscopie abdominale, chirurgie mini-invasive rachidienne ou du poignet : les chirurgiens s’affairent dans les conditions du réel, assistés par des infirmières et des techniciens.

Coup d'éclat 

Aux sous-sols, ce sont des bras robotisés qui pratiquent la laparoscopie, pilotés à distance par les médecins apprenants. En lieu et place des organes, des petits objets colorés, à déplacer, couper, retirer. D’autres machines proposent de simuler l’opération en vidéo, assistée par des lunettes 3D pour visualiser les moindres reliefs.

Fondé en 1994, l’IRCAD se veut précurseur de la télé-chirurgie. Il y a 20 ans, en septembre 2001, ses équipes réalisent un coup d’éclat : « l’opération Lindbergh », en hommage à l'aviateur de la première traversée transatlantique. Basé à New York, le Pr Jacques Marescaux, fondateur de l’IRCAD et chirurgien digestif, réalise alors une cholécystectomie sur une patiente hospitalisée à Strasbourg, à l'aide d'une console robotisée. Plus de 6 000 km séparent le médecin de son malade. « L’armée américaine nous avait dit que ce ne serait pas possible car le temps de latence de connexion par satellite était trop long », se souvient le Pr Marescaux. Première mondiale, l'opération marqua les esprits. L’institut décide alors de parier sur une transmission par des câbles transcontinentaux, mis au point par France Télécom. Avec succès : l’IRCAD a déployé sa franchise labellisée dans six pays du monde – dont le Brésil et Taïwan.

Clone digital

Si la formation des chirurgiens constitue son cœur d'activité — et de son financement — l’IRCAD intègre aussi un pôle de recherche axé sur le développement de la « chirurgie augmentée ». L’institut a développé la société « Visible patient », capable de recréer un clone digital du malade. L’IRM du patient est analysée par une intelligence artificielle pour en extraire les détails et créer une copie numérique conforme de l’organe ou de la tumeur à opérer. « Ce clone sera projeté en transparence pendant l’opération pour que le chirurgien puisse percevoir en temps réel ce qui se passe sous les tissus, comme la vascularisation », résume le Pr Marescaux. Pendant la première vague épidémique, l’algorithme a réussi à reconstruire un poumon en neuf minutes, contre quatre heures auparavant.

Au-delà d’accroître la performance et la précision du geste chirurgical, les programmes de recherche de l’IRCAD se tournent vers la démocratisation de l’imagerie médicale. Dans le monde, cinq milliards de personnes n’ont pas accès à l’imagerie, selon l’OMS. « Au Rwanda, il y a sept radiologues pour 12 millions d’habitants », illustre le fondateur de l'institut. Dans ce contexte, les équipes de l'IRCAD ont misé sur l’échographie low cost, notamment au bénéfice de pays africains. C’est le projet « Disrumpere » visant à démocratiser l’usage de l’échographie assistée par une intelligence artificielle. « Avantage, elle n’est pas chère, portative et non invasive », résume le Dr Alexandre Hostettler, data scientist. Avec son équipe, il a mis au point un algorithme qui, couplé à un balayage échographique, est capable de détecter organes, kystes ou tumeurs en temps réel. L’IA traite automatiquement la centaine d’images obtenues pour créer une modélisation 3D, « un peu comme une IRM  », se réjouit le Dr Hostettler. « On ne peut pas mettre des scanners dans tous les blocs du monde, mais par contre on peut y mettre un échographe », souligne le Dr Benoît Sauer, radiologue qui participe au projet.

Biométrie fœtale, suivi de lésions hépatiques, dépistage de tumeurs : l’équipe strasbourgeoise travaille en étroite collaboration avec l’antenne rwandaise de l'institut, située à Kigali. Et elle entend passer le relais aux médecins, paramédicaux et ingénieurs locaux. Une autre façon de populariser la chirurgie du futur.

Léa Galanopoulo

Source : Le Quotidien du médecin