Jumeau numérique, « GPS chirurgical », biosimulation par ordinateur…

Le patient numérique prend forme

Publié le 08/10/2018
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« Dans les prochaines années, tout patient aura son jumeau numérique », déclarait récemment le Pr Gilles Vassal, directeur de la recherche clinique à l’Institut Gustave Roussy, invité à imaginer « Comment nous serons soignés en 2030 » [1]. Ce jumeau « intégrera ses données médicales pour proposer le traitement le plus adapté, tout de suite ».

Le GPS du chirurgien

D’ores et déjà, les technologies d’imagerie numérique ont commencé à transformer les pratiques chirurgicales. Grâce à la modélisation des organes de son patient en 3D, le chirurgien peut planifier à l’avance sa stratégie opératoire, voire s’entraîner en répétant son geste sur un clone, une maquette virtuelle. À terme, il pourrait même être guidé en temps réel par un logiciel comparable à un « GPS chirurgical ».

C’est l’objectif de Condor, « grand défi numérique » sélectionné fin 2016 dans le cadre des Investissements d’avenir. Il consiste à développer un programme capable de proposer des « corrections de trajectoire » une fois qu’il aura appris ce qu’il convient de faire, décrit Luc Soler, directeur scientifique de l’IHU-IRCAD, à Strasbourg [2]. Décrit ainsi cela paraît simple ! Mais le projet suppose de constituer les bases de connaissances nécessaires (en collectant les données vidéo lors des opérations) et de faire tourner les algorithmes ad hoc, avant de passer par des études multicentriques pour démontrer ses bénéfices en usage clinique et sa robustesse.

Déjà, le fruit de 20 années de recherche a conduit l’IRCAD à mettre sur le marché un service numérique désormais commercialisé par une société spin-off de l’Institut : Visible Patient. Il consiste à réaliser une analyse des images de scanner ou d’IRM du patient à opérer et offrir ainsi un logiciel de simulation préopératoire. « Cela permet non seulement d’améliorer significativement le choix thérapeutique, de réduire le temps opératoire ou encore les complications postopératoires, mais également de rendre parfois opérable des patients qui ne l’étaient pas », avance la jeune société.

Elle ne se contente d’ailleurs pas d’innover sur le plan scientifique puisqu’elle met cette solution de cartographie anatomique non seulement à disposition des chirurgiens, mais aussi des patients eux-mêmes, via une application grand public (La Poste e-santé). Mieux : afin de faciliter sa diffusion, Visible Patient vient de conclure un partenariat avec une complémentaire santé qui garantira à ses assurés une prise en charge à 100 % de la simulation.

Essais in silico

Le jumeau numérique, c’est aussi la perspective de comprendre comment un organisme réagirait à un traitement grâce à la biosimulation par ordinateur. Les biotechs y travaillent. Mais la prudence reste de mise dans ce domaine, même si l'Agence européenne des médicaments a accepté, l’an dernier, de prendre en compte les essais « in silico », en complément des tests sur les animaux et des essais cliniques classiques.

La modélisation et la simulation d'essais cliniques demeurent un travail de pionnier comme le rappelait récemment Bruno Villoutreix [3], qui dirige le laboratoire Molécules thérapeutiques in silico (Inserm/Université Paris-Diderot) : « Ce que nous savons faire, à ce stade, c'est simuler certains organes, comme le cœur, le foie ou les poumons, dans un état sain ou pathologique, pour prédire l'action qu'aura sur lui telle ou telle molécule. Mais de là à simuler un organisme entier… »

L’usage de la simulation s’accroît cependant peu à peu dans le secteur pharmaceutique où des startups comme Novadiscovery s’attaquent désormais à la conception de patients virtuels. Une alliance public-privé, Avicenna, s’emploie d’ailleurs à mobiliser industriels et parlementaires pour la promotion de la simulation numérique en santé.

[1] Journée Pharmacité 2018, le 14 septembre [2] Institut de Chirurgie Guidée par l'Image, membre du consortium Condor avec l’Institut de Recherche Technologique b<>com, les laboratoires publics INSERM/LTSI et UNISTRA/ICube, et des partenaires

Source : Le Quotidien du médecin: 9692