Après des accusations de viols visant des gynécologues, le Comité consultatif national d’éthique recommande de passer d’un consentement « tacite ou présumé » à « explicite et différencié », avec l'ambition de restaurer la confiance entre médecins et patientes.
Gestes inappropriés, comportements déplacés, propos indélicats… Sous le hashtag « Paye ton utérus », les réseaux sociaux ont vu déferler en 2014 de nombreux témoignages de femmes évoquant des violences gynécologiques.
Depuis, la profession, également heurtée par des accusations de viols visant des praticiens, se mobilise dans l’espoir de restaurer la confiance. Après un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes en 2018 pointant des « actes sexistes » dans le suivi gynécologique, une charte de la consultation en gynécologie et obstétrique a été élaborée par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF). Orientée sur les notions de consentement et de bienveillance, elle a été cosignée en octobre 2021 par l'ensemble des sociétés savantes et organisations représentant la profession.
Dans son avis 142 sur le consentement lors des examens gynécologiques, publié le 29 mars, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) emprunte la même voie. Saisie par Matignon en juillet 2022, l’instance apporte un complément à un précédent avis de 2021 (le 136) sur « l’évolution des enjeux éthiques relatifs au consentement dans le soin », en allant « plus loin », explique la juriste Karine Lefeuvre, vice-présidente du CCNE et co-rapportrice du nouvel avis, notamment dans le « champ de l’extrême intime », qui est en jeu lors des examens urogénitaux ou ano-rectaux.
Offrir un « cadre respectueux et sécurisant »
La trentaine d’auditions menées par le CCNE a été effectuée alors qu’il existait un « risque de rupture du dialogue avec une colère des associations et une colère des collèges professionnels », rappelle-t-elle. Le document cherche ainsi à offrir un « cadre respectueux et sécurisant » pour les patients et les professionnels, ajoute le philosophe Fabrice Gzil, également co-rapporteur.
Les examens touchant à l’intime sont « difficiles à subir et complexes à réaliser », poursuit-il. Ils réclament une « attention redoublée de savoir-être, de précaution et de tact » et nécessitent « une écoute et une considération », une « prise en compte de la pudeur et du besoin d’intimité », une « attention à la douleur » (notamment en cas d'endométriose) et enfin une « vigilance » au cadre et aux conditions concrètes de réalisation de l’examen, liste le philosophe.
L’avis ne se positionne pas en faveur d’un consentement écrit. « Ce n’est pas de nature à restaurer la confiance », juge Fabrice Gzil. Il propose plutôt de passer d’un consentement « tacite ou présumé », qui « n’est plus acceptable », à un consentement « explicite et différencié » à chaque examen. Cette approche suppose une « information préalable » sur le pourquoi de l’examen, sur l’information recherchée, sur son déroulement ou sur les douleurs éventuelles et une prise en compte des réticences ou des refus, indique-t-il.
La présence systématique d’un tiers lors des examens n’est pas recommandée, même si cette option reste possible pour les mineures, mais aussi pour les personnes « en situation particulière de vulnérabilité », telles que les personnes en situation de handicap ou les victimes de violences sexuelles. Cette présence peut être à double tranchant : cela « peut être rassurant » ou « être une interférence dans le soin », analyse Fabrice Gzil. L’avis, qui invite à ne pas « minimiser la parole des femmes », cherche ainsi à établir un « juste équilibre » afin d’instaurer une relation de confiance entre médecins et patientes, ajoute Karine Lefeuvre.
Prendre conscience de la dissymétrie de la relation
« Cet avis est extrêmement sage et raisonnable. Il insiste sur la notion de respect mutuel, en écho à notre charte », commente la Dr Joëlle Belaisch-Allart, présidente du CNGOF. Le consentement ne peut plus être implicite, poursuit-elle : « On a longtemps demandé aux femmes qui venaient en consultation de se déshabiller et de se mettre sur la table d’examen en pensant que cela suffisait. Il faut clairement poser la question : "est-ce que je peux vous examiner ?" ».
Pour la sociologue Lucile Quéré de l'université de Lausanne, l’avis témoigne d’une certaine prise de conscience. « Cet avis s’inscrit dans un contexte de politisation des violences de genre. Les féministes ont construit la consultation médicale, et plus spécifiquement en gynécologie, comme un objet politique, le lieu d’expression d’un rapport de pouvoir. Ça a amené une partie de la profession à se questionner sur les pratiques », analyse-t-elle, en rappelant que, dès les années 1970, les féministes ont contesté le monopole médical des savoirs sur le corps des femmes.
« Ce qu’il est important de comprendre, poursuit-elle, c’est la multiplicité des rapports de pouvoir qui se jouent dans l’interaction médicale, liés notamment à l’autorité accordée aux médecins par la société, mais aussi au genre, au handicap, etc. La consultation n’est pas indépendante de ce qui passe dans la société. Et ces rapports de pouvoir rendent possible les abus. »
En écho, le CCNE plaide pour « mieux considérer la formation (des étudiants en médecine, NDLR) aux humanités et à l’éthique du soin », explique son président, le Pr Jean-François Delfraissy. Une approche complémentaire repose sur la démocratie participative avec une intervention des patients dans la formation des professionnels, mais aussi via des chartes et recommandations des sociétés savantes qui « gagneraient à être co-construites avec les patients », appuie Karine Lefeuvre.
Créer les conditions favorables à la confiance
Autre levier : mettre en œuvre des conditions favorables à un consentement éclairé. « Au-delà de pratiques et de normes professionnelles paternalistes et reproduisant des rapports de pouvoir, il faut poser la question de l’organisation des soins par les politiques publiques. Les médecins subissent une pression pour des consultations courtes qui empêchent une concrétisation des droits des patientes dans la consultation. C’est une dimension structurelle qui permet les violences », souligne Lucile Quéré.
À cet égard, le CCNE adresse une recommandation spécifique au ministère pour la mise en place des « conditions organisationnelles » nécessaires à l’application de ses recommandations. Il faut, détaille le Pr Delfraissy, du « temps pour la discussion » et des « locaux adaptés » au respect de la pudeur et de l’intimité.
« Les conditions d’accueil doivent être plus satisfaisantes : disposer d’un espace pour que les patientes se déshabillent à l’abri des regards, ne pas orienter la table d’examen vers la porte d’entrée, etc., ajoute la Dr Belaisch-Allart. Aussi, les consultations de 10 ou 15 minutes ne sont plus possibles. » La balle est désormais dans le camp des autorités, juge la présidente du CNGOF : « Cet avis n'a qu'une valeur consultative. La question est de savoir s'il sera suivi ».