L'affaire du Dr Jean Méheut-Ferron pourrait être de celles qui font bouger le cadre de la fin de vie en France. En particulier à domicile, où la majorité des Français déclarent vouloir mourir, quand seulement un quart y décède vraiment.
Novembre 2019, le Dr Jean Méheut-Ferron, 65 ans, généraliste installé à Angerville-La-Martel (Seine-Maritime) est mis en examen pour administration de substance nuisible ayant entraîné, sans intention de la donner, la mort de cinq personnes vulnérables, avec interdiction d'exercer. Le Dr Méheut-Ferron reconnaît avoir prescrit et fourni du midazolam à ses patients souffrant d'affections lourdes pour apaiser leurs souffrances. Sa femme, l'anesthésiste qui a prélevé des ampoules de midazolam dans la clinique où elle exerce, est mise en examen pour complicité et abus de confiance.
Les marques de soutien ne se sont pas fait attendre. Le président de l'Union régionale des médecins libéraux de Normandie écrit fin 2019 à la ministre de la Santé Agnès Buzyn, avant que le Syndicat des médecins libéraux (SML) n'en appelle à des états généraux de la fin de vie et que la Fédération des médecins de France (FMF) lance une pétition signée par un millier de médecins qui reconnaissent avoir « au cours de leur vie professionnelle, accompagné des patients en fin de vie pour les aider à partir dignement sans souffrance, parfois au prix d’entorses aux règlements en cours ».
Plaidoyer pour prescrire le midazolam en ville
Au cœur de cette défense organisée, se situe la question du midazolam. Essentiellement prescrit et administré à l'hôpital, y compris dans le cadre d'une hospitalisation à domicile (HAD), ce sédatif est en théorie rétrocédable en ville depuis 2004 pour la prise en charge de la douleur chronique rebelle et des soins palliatifs. Mais dans les faits, rares sont les généralistes qui y recourent. Les libéraux demandent instamment aux autorités de renégocier les conditions de prescription de ce médicament en ville. « Il faut cesser de limiter le champ de prescription des généralistes », tempête le Dr Jean-Paul Hamon (FMF). D'autant que « certains territoires ne sont pas couverts par l'HAD », enchérit le Dr Philippe Vermesch (SML). « L'Hypnovel en soins primaires peut être utile », observe le Dr Jacques Battistoni (MG France).
Plus largement, l'affaire interroge sur l'applicabilité de la loi Claeys Leonetti de 2016 hors institution. « Finir sa vie à domicile et notamment, pouvoir bénéficier d'une sédation profonde et continue jusqu'au décès, est un droit inscrit dans la loi, or cette promesse est de facto impossible à honorer », s'offusque Emmanuel Hirsch, professeur d'Éthique médicale à l'université Paris-Saclay.
Quelle collégialité à domicile ?
La mise en œuvre de cette loi doit passer, au-delà de la résolution des problèmes techniques que sont la disponibilité des produits et la surveillance d'un patient sédaté, par une réflexion sur la décision médicale à domicile.
Sa spécificité tient, analyse le Pr Hirsch, au fait que le généraliste connaît l'histoire de la personne et se place dans la continuité d'un soin. Que le malade peut oser lui demander ce qu'il ne demandera pas à un inconnu. Que le médecin est plus isolé qu'à l'hôpital pour organiser une procédure collégiale, imposée avant toute décision de sédation profonde et continue, tandis que la relation avec les proches est plus complexe. Il y a souvent un après avec la famille, note l'éthicien.
« La démarche collégiale définie dans la loi de 2016 doit être adaptée à l'exercice au domicile, considère le Dr Olivier Mermet, président de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFAP). Il peut ne pas y avoir unité de temps et de lieu dans le dialogue entre tous les acteurs ». Le deuxième avis médical peut être assuré par un médecin de réseau de soins palliatifs ou d'hospitalisation à domicile, selon les territoires, ou même un confrère du secteur, propose le généraliste. Les conclusions de ces échanges doivent être notées dans le dossier médical, précise-t-il.
Les acteurs du domicile aspirent à mieux anticiper les derniers moments, afin de garantir le respect des volontés du patient. « Nous devrions réfléchir à une consultation réservée à la fin de vie entre le médecin traitant et le patient », suggère le Dr Vermesch. Le Dr Luc Duquesnel (généralistes-CSMF) encourage la rédaction d'un plan personnalisé de soins palliatifs, croisant le social et le sanitaire, tout en regrettant que ces démarches chronophages ne soient pas rémunérées à leur juste valeur.
Pour une éthique de la confiance au quotidien
Au-delà de la fin de vie, le soin à domicile confronte médecins et patients à des problématiques éthiques concrètes et quotidiennes.
L'arrivée d'un lit médicalisé à domicile fait souvent l'objet de négociations, décrit la Dr Lisadie Fournier, médecin coordonnateur au sein de l'HAD de l'AP-HP. Des refus de soin peuvent se faire jour. La relation avec des proches épuisés est délicate, l'insalubrité d'un logement peut heurter. « Nous devons concilier l'idéal du soignant et la volonté du patient, tenir un équilibre en protection et intrusion », résume-t-elle.
Les problématiques peuvent surgir dès le seuil du domicile. « Le chez soi n'est pas une chambre d'hôpital neutre. C'est un lieu chargé d'histoire, d'affect, de culture, de religion… Parfois, la confrontation naît d'une demande d'ôter ses chaussures », explique la Dr Fournier.
« Nous attendons des soignants du savoir être, de l'écoute et de l'échange, pour nouer une relation de confiance », témoigne Anne-Sophie Parisot, avocate spécialisée en droit du handicap, elle-même en situation de handicap. Car la vulnérabilité est partout : dans les soins qui doivent être individualisés, dans l'impossibilité de choisir les horaires de passage des intervenants, voire, les intervenants eux-mêmes, dans le fait d'être constamment l'objet d'un regard ou de n'avoir aucun interlocuteur vers qui se tourner en cas de problème. « L'exigence de confidentialité est bien rentrée dans les mœurs, mais le respect de la personne dans sa globalité est parfois oublié », regrette-t-elle.
Comment cette éthique du quotidien s'acquiert-elle ? « Mon groupe de parole ? Mes camarades du cabinet », répond le Dr Hamon, qui met aussi en avant son expérience. Les espaces éthiques régionaux, eux, s'intéressent de plus en plus au domicile, comme celui de Bretagne, au sein duquel s'est créé en 2017 Ethidom, un groupe de réflexion pluridisciplinaire dédié au domicile ; celui d'Ile-de-France, qui a rédigé une charte spécifique en 2016 ; ou celui d'Occitanie, qui vient de publier un guide sur l'éthique de la reconnaissance du proche aidant. Mais ces espaces restent méconnus des professionnels libéraux. Comme s'il restait à inventer des lieux de dialogue où patients, soignants quel que soit leur statut, aidants, et services puissent discuter.
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