La « cause » de l’assistance sexuelle pourrait-elle évoluer d’ici à la fin du quinquennat ? La balle est dans le camp du gouvernement après la publication, le 6 octobre, de la réponse du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) à la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées. Sophie Cluzel lui avait en effet demandé en 2020 de réexaminer cette possibilité, estimant que « la société française avait mûri » depuis le précédent avis du CCNE de 2012. « Je suis très favorable à ce qu’on puisse accompagner la vie intime, affective et sexuelle des personnes handicapées, certaines étant condamnées à vivre dans une abstinence sexuelle non choisie », avait-elle déclaré, tout en assurant que le sujet n’avait « rien à voir » avec la prostitution.
Dans sa réponse, surprenamment peu médiatisée (il faut dire qu’elle a été rendue publique le lendemain des conclusions de la Commission Sauvé sur les abus sexuels dans l’Église), le CCNE plaide pour « l’expérimentation d’initiatives permettant l’accompagnement aux gestes du corps et de l’intimité dans le champ du handicap ». Des professionnels de la santé et du social, volontaires, seraient formés aux différentes formes de handicap et à des thématiques comme le rapprochement des corps ou l’appropriation d’un matériel dédié, et pourraient intervenir à domicile ou en établissement – hors droit à la compensation du handicap (car il ne s’agit pas d’un soin, selon le CCNE).
Mais pour ce qui est de l’aide active à la sexualité (avec implication du corps de l’aidant), le comité considère qu’il s’agit là « d’une décision éminemment politique et législative », puisque « cela nécessiterait de modifier le cadre légal relatif à la prostitution (c’est-à-dire la loi du 13 avril 2016*) et de s’affranchir de principes éthiques qui s’y réfèrent (dignité humaine, indisponibilité du corps), auxquels le CCNE est particulièrement attaché », lit-on. Sophie Cluzel a missionné le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) pour réfléchir aux suites à donner.
Des associations divisées sur le sujet
En attendant, les associations sont profondément divisées sur la question de l’assistance sexuelle, notamment dans son articulation à la prostitution. Parmi les partisans, le Collectif Handicaps et Sexualité Ose CH(s)OSE qui fédère des personnes morales, dont l’Association française contre les myopathies (AFM) et l’APF France Handicap, mais aussi des personnes physiques. Le collectif tient à distinguer assistance sexuelle et prostitution. « Dans certaines situations de handicap, quand l’accès au corps est empêché, il y a besoin d’un tiers pour vivre sa sexualité. Il ne s’agit pas d’exploitation du corps de l’autre. Oui, le corps est engagé. Mais quand l’auxiliaire de vie vous aide dans votre intimité au quotidien, son corps aussi est engagé sans que cela ne pose de cas de conscience », explique la secrétaire (et ex-présidente) Julia Tabath. La rémunération est selon elle « une garantie pour insérer cette relation dans un cadre éthique ». CH(s)OSE plaide ainsi pour l’encadrement d’un service d’accompagnement, avec des professionnels ayant suivi une formation agréée, supervisés par des pairs et qui n’exercent pas cette activité à titre principal. « Ça doit être une activité annexe, dont le profit n’est pas le but », précise Julia Tabath. La réponse du CCNE marque « une avancée, et ses recommandations permettent d’ouvrir des portes jusque-là fermées, voire inexistantes, considère-t-elle. Même si on aurait souhaité plus. »
C’est en raison de l’absence de ce « plus » que l’association pour la promotion de l’accompagnement sexuel (Appas) juge, de son côté, le travail du CCNE « frileux et décevant », selon les mots de son président sortant Gérald Four. À la différence de CH(s)-OSE, l’Appas assume davantage le lien entre assistance sexuelle et prostitution.
L’association revendique 1 200 demandes d’accompagnement depuis sa création en 2013 et la réalisation de 13 sessions de formation, suivies par 80 accompagnements.
« Nous avons des demandes de personnes isolées et seules, qui ont besoin que l’accompagnant agisse avec son propre corps. Nous souhaiterions une exception à la loi de 2016 pour cadrer nos activités de formation - en attendant une législation plus favorable sur le travail du sexe », indique Gérald Four.
Si elle considère aussi que l’assistance sexuelle est une forme de prostitution, l’association féministe et abolitionniste Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA), en fait, a contrario, un argument pour s’y opposer. Selon la FDFA, une dérogation à la loi de 2016 serait incohérente. « Il ne saurait y avoir d’ajustement », écrit-elle, considérant en outre que l’assistance sexuelle, « demandée en grande majorité par des hommes, s’inscrit dans une culture où le corps des femmes est à la disposition des hommes ». Et de saluer la réponse du CCNE en ce qu’elle « exclut de modifier la loi de 2016 sur la prostitution ».
Un autre front contre l’assistance sexuelle est ouvert par le Collectif Lutte et handicaps pour l’égalité et l’émancipation (CLHEE), moins au nom de la lutte contre la prostitution que du rejet « d’une approche médicale passéiste du handicap », stigmatisante de surcroît. « C’est supposer que les personnes handicapées constituent un groupe homogène avec une sexualité spécifique ; c’est associé à tort l’assistance sexuelle aux soins dont elle serait une sorte de prolongement », estime le collectif. Le CLHEE renvoie ainsi dos à dos le modèle prostitutionnel et celui du soin (développé notamment aux États-Unis, inspiré par le développement personnel ou le coaching) et dénonce plus largement l’institutionnalisation des personnes handicapées qui empêche leur autonomie et libre socialisation.
L’assistance sexuelle, un écran médiatique
Les débats autour de l’assistance sexuelle, malgré leur présence médiatique, ne sauraient résumer l’ensemble de la problématique « sexualité et handicap ». « La plupart du temps, la question de la sexualité des handicapés est abordée exclusivement à travers le prisme de l’assistance sexuelle. Or, cela concerne une minorité de personnes », considère Pierre Brasseur, sociologue et auteur de la thèse « L’invention de l’assistance sexuelle : sociohistoire d’un problème public français » (2017).
Selon lui, la problématique est encore prisonnière, en France, d’une tension « entre le modèle médical du handicap - on agit sur l’individu pour soigner des déficiences - et le modèle social - selon lequel les personnes sont handicapées non intrinsèquement, mais parce que la société n’est pas adaptée ». Or, poursuit-il, « les difficultés que peuvent éprouver certaines personnes en matière de sexualité ne sont pas liées à des caractéristiques individuelles (et donc le problème n’est pas dans le changement de regard). C’est la question de la socialisation à la sexualité qui est essentielle, notamment en institution », explique-t-il. Et y compris sur le plan symbolique, puisque le patient est souvent considéré comme « neutre », vierge de toute problématique sexuelle.
D’où la nécessité d’un travail plus large sur la question, évoqué d’ailleurs par le CCNE qui émet une série de recommandations destinées à favoriser le droit d’accès à la vie affective, sexuelle et intime dans les établissements et services à domicile, en reconnaissant que leur fonctionnement actuel entrave les personnes dans leurs relations humaines… Quand il n’enfreint pas des principes éthiques (recours non consenti à des contraceptifs) ou ne verse dans la maltraitance.
Une prise de conscience pointe. Sophie Cluzel a publié une circulaire rappelant justement « le droit à la vie affective, intime et sexuelle des personnes en situation de handicap accompagnées par des établissements et services médico-sociaux et visant à lutter contre les violences physiques, psychologiques et sexuelles, dont elles peuvent faire l’objet ». Des centres ressources sur ce sujet devraient prochainement voir le jour dans toutes les régions.
Tout l’enjeu sera alors de reconnaître une spécificité trop souvent invisibilisée sans tomber dans la stigmatisation. « Ces centres peuvent avoir une légitimité en termes de diffusion de certaines ressources (par exemple de la documentation adaptée à certains handicaps). Mais n’aurait-il pas tout simplement fallu s’appuyer sur les professionnels de la socialisation à la sexualité comme les plannings familiaux, les centres de santé gynécologiques ou les centres de santé sexuelle gays et lesbiens ? », interroge Pierre Brasseur.
*La loi prévoit la pénalisation (1 500 euros d'amende) de toute personne sollicitant « en échange d'une rémunération (...) des relations de nature sexuelle de la part d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle ».
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