« C'est une question très difficile, redoutable », a reconnu le Premier ministre Édouard Philippe en conclusion du Grenelle contre les violences faites aux femmes, ce 25 novembre. La concertation se poursuit avec le Conseil national de l'Ordre des médecins, a-t-il précisé prudemment, mais il est bel et bien question de faire évoluer le secret médical.
« Nous devons, lorsque cela peut sauver des vies, offrir la possibilité aux médecins de déroger au secret médical. Je souhaite que cela concerne des cas très stricts d'urgence absolue où il existe un sérieux risque de renouvellement de violence », a-t-il déclaré. L'accord de la victime ne serait alors pas indispensable, ce qui rapprocherait le régime des majeures de celui des enfants en danger, aujourd'hui distincts.
Un médecin peut procéder à un signalement au procureur de la République pour une victime majeure, avec son accord. La loi (article 226-14 du Code pénal) précise qu'un tel signalement « ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi ». En revanche, l'accord du mineur ou « d'une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique » n'est pas nécessaire.
Une fausse bonne idée
Toucher au secret médical est une fausse bonne idée, dénonce le Dr Gilles Lazimi, militant à SOS Femmes 93 et au Collectif féministe contre le viol, professeur associé en médecine générale. « C'est déplacer la responsabilité de l'État, de la police, et de la justice, sur le corps médical », s'indigne-t-il, rappelant que 65 % des violences antérieures à un homicide étaient connues des forces de police. Un allégement du secret médical au-delà des dérogations prévues risque de rompre la relation de confiance entre les victimes et le médecin - première personne vers laquelle elles se tournent. « Une victime a besoin de temps pour prendre conscience de l'emprise et se re-narcissiser, grâce au médecin qui peut lui expliquer les symptômes ».
Un avis partagé par le professeur de médecine légale Patrick Chariot, d'autant que le Code pénal, en permettant au médecin d'émettre un signalement sans l'accord d'une personne vulnérable, permet d'agir en cas de danger immédiat, souligne le Pr Chariot : « Une personne aveuglée est bien en situation d'incapacité physique et psychique ».
Des éclaircissements législatifs possibles
« Lever le secret médical et introduire une obligation de signalement ouvrirait la boîte de Pandore : toutes les exceptions seraient bonnes pour l'abandonner », tempête aussi le Pr Pierre-Louis Druais, vice-président d'une Commission à la Haute autorité de santé (HAS) chargée des recommandations sur le repérage des violences faites aux femmes. L'obligation du signalement « infantilise la victime et nous transforme en auxiliaires de justice », dit-il. Avec quelque 130 confrères, le Pr Druais a signé une tribune publiée sur le site de la HAS, où « les professionnels s'engagent à mettre à mal la violence ». Comment ? En posant la question aux patientes, en se formant, en construisant des réseaux, en échangeant des informations utiles à la protection des victimes… « Dans le respect du secret professionnel », est-il bien spécifié.
Néanmoins, le Pr Druais est favorable à une modification de l'article 226-14 qui permettrait au médecin de prendre la décision d'un signalement en cas d'un risque grave sans l'accord de la victime. À trois conditions : informer la personne, mentionner la démarche dans le dossier médical et garantir dans la loi que le médecin ne pourra être poursuivi par quiconque (victime, conjoint, famille, institution, etc.).
Éclaircir jusqu'à obliger pour les enfants ?
Engagés sur le front des violences faites aux enfants, les Drs Catherine Bonnet, pédopsychiatre, et Jean-Louis Chabernaud, pédiatre-réanimateur, plaident depuis 20 ans pour un éclaircissement de la loi : il faudrait aller jusqu'à l'inscription formelle d'une obligation de signaler pour les mineurs. Ceci afin que les médecins signalent davantage et que toute ambiguïté soit levée. « Les médecins sont face à un dilemme : soit ils signalent mais risquent des poursuites et sanctions disciplinaires, soit ils ne signalent pas un enfant qu'ils auraient dû signaler, et risquent des poursuites pénales pour entrave à la justice et non assistance à enfant en péril », résume le Dr Bonnet.
Selon les spécialistes de l'enfance, les articles cadrant le signalement chez les mineurs sont flous. L'article R4127-44 du Code de la Santé publique et l'article 44 du code de déontologie stipulent que le médecin « alerte les autorités judiciaires ou administratives sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience », lorsqu'il discerne chez un mineur ou une personne vulnérable des sévices ou privations.
Or, l'obligation de signaler a été supprimée en 2012. Seul l'article 40 du code de procédure pénale, qui concerne les fonctionnaires (donc les médecins de l'Éducation nationale, de l'Aide sociale à l'enfance, de la Protection maternelle infantile), stipule qu'ils « sont tenus » d'informer « sans délai » le procureur de la République lorsqu'ils ont connaissance d'un crime ou délit dans l'exercice de leurs fonctions.
« Il faut inscrire l'obligation de signaler au Procureur pour les mineurs et vulnérables dans l'article 226-14 du Code pénal », considèrent les Drs Bonnet et Chabernaud, tout en protégeant la responsabilité du médecin, et la confidentialité.
Cette question sera-t-elle abordée dans le cadre de la concertation entre le gouvernement et l'Ordre des médecins ? Sollicité par le « Quotidien », ce dernier n'a pas souhaité s'exprimer, avant la fin des discussions.
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