Il fallait avoir le courage de le faire. À deux reprises, fin août, le Dr Jean-Marie Haegy (*) a brandi, seul, une pancarte interpellant les manifestants, en plein rassemblement anti-pass sanitaire à Colmar. « 2 000 patients en réanimation, 85 % non vaccinés. À qui le tour ? », avait inscrit le médecin retraité, ex-chef de service Urgences et réanimation aux hôpitaux civils de Colmar, pour rappeler aux contestataires les risques de refuser la vaccination. Bousculé, agressé verbalement, le médecin a été protégé par la police pour éviter un éventuel incident.
Pourquoi cette initiative ? Le Dr Haegy réfute toute provocation. L’urgentiste de 75 ans, qui a participé à de nombreuses missions humanitaires à travers le monde aux côtés de Médecins sans frontières puis de Médecins du Monde, justifie son engagement et sa vision de la médecine. Il a répondu aux questions du « Quotidien » depuis la Guadeloupe où il est parti renforcer les équipes sanitaires en lutte contre l’épidémie de Covid.
« LE QUOTIDIEN » - Pourquoi avez-vous interpellé de cette manière les manifestants anti-pass sanitaire ?
Dr JEAN-MARIE HAEGY - Je trouve insupportable qu’on puisse remettre en cause le principe de la vaccination. La poliomyélite, la diphtérie, le tétanos, la variole ont disparu grâce à la vaccination. On dispose d’un vaccin qui a fait ses preuves contre la Covid et je trouve insupportable qu’on puisse mettre délibérément sa vie et celle des autres en danger. Aujourd’hui en Guadeloupe où je travaille, 100 % des malades en réanimation ne sont pas vaccinés.
Quel message leur avez-vous adressé ?
Sur la pancarte j’avais marqué : « 2 000 patients Covid en réanimation, 85 % non vaccinés. À qui le tour ? », et collé deux photos prises dans une unité post-réanimation respiratoire Covid où j’étais en poste au titre de la réserve sanitaire. Il fallait que je le fasse non pas pour faire le buzz mais pour dire que la terre n’est pas plate et que le soleil ne tourne pas autour d’elle. Je l’ai dit au nom des gens qui se sont protégés, qui ont protégé les autres et protégé le système de santé. Je l’ai fait et suis en paix avec moi-même.
« Être soignant est un engagement humanitaire en soi »
« À qui le tour ? »… Le message était un peu provocateur, non ?
C'est vrai. Mon intention n’était pas de chercher l’affrontement mais d’aller vers la rencontre, le réveil de la conscience et le dialogue. Je pense qu’être soignant est un engagement humanitaire en soi et mon action une façon de porter secours.
Comment ont réagi les manifestants ?
Ils constituent un groupe très hétérogène. Il y a les anti-pass, les antivax, les anti-Macron, les anti-système puis les anti-pass-antivax, les anti-pass antivax anti-système, etc… et tous défilent au nom de la liberté. J’ai été bousculé par les uns, agressé, j’ai été la risée des autres mais rares sont ceux qui ont cherché à ouvrir le dialogue. Ils campent et défendent des données statistiques et des sources d’information qui les enferment dans leurs positions et leurs croyances jusqu’au jour où ils seront aux portes de la réanimation.
Comment expliquez-vous la défiance d'une partie de la population à l'égard de la vaccination et de la médecine en général ?
En médecine comme dans tous les champs de l’activité humaine, le progrès scientifique bouleverse l’organisation et la structure du système de santé ainsi que la relation de l’homme à la maladie et du malade au médecin. Entre l’homme et le médecin il y a aujourd’hui l’ordinateur et les machines. Cette distanciation s'est imposée bien avant la distanciation sociale imposée par la pandémie. L’information circule, le médecin est descendu de son piédestal, ce qui en soit est une bonne chose. Seulement en descendant, il est devenu un technicien de la maladie au même titre que tous les prestataires de notre hédonisme. De son côté, le patient bien informé est devenu de plus en plus exigeant et de plus en plus impatient. Il utilise le système de santé en consommateur comme dans une grande surface. Le malade, lui, est le support incontournable de la maladie, éclatée en dysfonctionnement d’organe et de système. Tous perdent un peu de leur humanité.
Ce comportement vous choque-t-il, vous qui avez côtoyé des populations démunies de tout accès aux soins ?
Nos citoyens ne se rendent pas compte de la chance qu’ils ont de pouvoir se rendre dans un cabinet de médecin ou à l’hôpital, d’être pris en charge rapidement, d’avoir une couverture sociale alors que dans certaines régions du monde, il n’y a pas tout cela. On ne met en exergue que ce qui ne va pas parfois avec un avocat, arrêtons de critiquer la médecine car la société a la médecine qu’elle mérite.
Quelle a été votre implication dans la lutte contre l'épidémie depuis début 2020 ?
Je suis médecin retraité et travaille régulièrement dans une petite structure d’urgence d’un hôpital périphérique où dès mars 2020 nous avons pris en charge des malades Covid. En avril et mai, je suis intervenu à l’unité post-réanimation respiratoire Covid du Centre Hospitalier de Mulhouse avec la Réserve sanitaire. Nous prenions en charge les malades trachéotomisés sortant de réanimation pour un sevrage du respirateur. En avril 2021, je suis parti en renfort Covid avec la réserve sanitaire aux urgences de Wallis et Futuna puis en aux urgences de Bastia, en août, et actuellement aux urgences de Pointe à Pitre. Je suis aussi en centre de vaccination ainsi qu’au dépistage Covid à l’Euroairport.
(*) Le Dr Haegy est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont le dernier est pau aux éditions Tranboréal : « L'engagement humanitaire. Petit diagnostic sur l'altruisme en situation d'urgence »
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