Biosimilaires : le laboratoire Amgen préfère que « la décision thérapeutique revienne au médecin »

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Publié le 08/07/2022
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Crédit photo : S.Toubon

Introduite en avril dernier, la possibilité pour le pharmacien de substituer directement un médicament biologique par son biosimilaire s'est concrétisée (pour deux premières biomolécules substituables), après huit ans d'atermoiements. Sauf que cette évolution ne fait pas l'unanimité. Elle « pose question et fragilise le modèle établi à la fois pour la sécurité du patient et pour l’attractivité du marché des biosimilaires », juge même le laboratoire Amgen, spécialisé dans les biotechnologies médicales.

Membre du think tank biosimilaires — autour de laboratoires pharmaceutiques et d’associations de patients — Amgen souhaite donner la main aux médecins pour "switcher" le médicament biologique de référence vers le biosimilaire. « Nous restons convaincus que l’interchangeabilité, faite par le médecin, est le facteur de développement harmonieux des biosimilaires », souligne Corinne Blachier-Poisson, présidente d’Amgen France, qui préfère que « la décision thérapeutique revienne au médecin ».

« Je dis aux pharmaciens : laissez la responsabilité au prescripteur »

Après avoir informé le prescripteur et le patient, les officinaux peuvent aujourd’hui remplacer deux molécules : le pegfilgrastim (Neulasta) et le filgrastim (Neupogen). « Il n’y a pas eu de critères clairs sur le choix de ces deux molécules, il faudra faire un suivi très rigoureux des bénéfices », met en garde la patronne d’Amgen, sceptique. D’autant qu'« il y a autant de biosimilaires que de présentations différentes, des stylos injecteurs qui varient, ça peut être source d’erreur pour le patient », abonde le Dr Jean-Christophe Réglier, directeur médical biosimilaires chez Amgen France.

« Je dis aux pharmaciens : laissez la responsabilité au prescripteur », poursuit Alain Olympie, directeur de l’Association AFA Crohn RCH France, qui souhaite mettre en avant « une décision médicale partagée entre le médecin et son patient ». « Le switch vers un biosimilaire peut être compliqué, surtout chez des patients qui sont stabilisés depuis des années, le médecin ne doit surtout pas rater son entretien avec le patient pour le convaincre », conseille-t-il.

Gisements d'économies 

Introduite pour accélérer le taux de pénétration en ville des biosimilaires, la substitution en officine pourrait faire « pschitt ». « La France est le seul pays d’Europe à l’avoir introduite et pourtant, ailleurs, comme au Royaume-Uni, le taux de pénétration y est plus élevé », analyse Corinne Blachier-Poisson. En ville, le taux de pénétration de ces copies biologiques frôle les 25 %, contre 80 % souhaités par Agnès Buzyn en 2018 à l’occasion de la loi de Santé. « Sur l’une de nos spécialités que nous avons lancée en ville, le taux de pénétration est de 32 % en France, contre 83 % en Angleterre ou 73 % en Allemagne », souligne encore Corinne Blachier-Poisson pour illustrer le retard français.

20 à 40 % moins cher que son princeps, le biosimilaire est « vecteur d’économies d’ampleur, que l’on estime à six milliards d’euros par an pour l’Europe », poursuit François Bocquet, pharmacien et économiste.

Une prime qui fait débat

En France, 16 biosimilaires sont disponibles, dont 9 délivrés essentiellement en ville. Si l’hôpital affiche des taux de substitution corrects, la ville reste à la peine. « À l’hôpital, pour le bevacizumab par exemple, l’évolution des parts de marché du biosimilaire est très rapide, car les hôpitaux ont très vite accepté le principe de mise en concurrence de deux produits », explique François Bocquet. Une dynamique « beaucoup moins vraie pour les molécules ambulatoires ».

Pour augmenter les switchs, l’avenant 9 à la convention médicale a introduit pour les praticiens libéraux un intéressement à la prescription de biosimilaires. Cinq molécules sont concernées par ce bonus — étanercept, adalimumab, follitropine alfa, énoxaparine et insuline asparte — qui récompense les initiations de traitement et l’augmentation des switchs. Mais la mesure a été prise en désaccord avec l’Ordre des médecins qui voit dans cette incitation une opposition manifeste à l’article 24 du code de déontologie médicale. Ce dernier interdit aux praticiens « la sollicitation ou l'acceptation d'un avantage en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d'une façon directe ou indirecte, pour une prescription ». Un mécanisme d'incitation financière qui « pose question mais qui existe déjà (pour les génériques), justifie François Bocquet, car pour faire bouger les médecins ce n’est pas simple ».


Source : lequotidiendumedecin.fr