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« Chloroquine : faut-il l'utiliser contre le Covid-19 ? » Le oui, mais d'un biologiste

Publié le 27/03/2020

Ancien directeur de recherche à l’Inserm et ancien directeur du département des Sciences de la Vie du CNRS, le créateur et directeur de Genopole Evry de 1998 à 2017 revient sur la controverse thérapeutique du moment. Après avoir interrogé plusieurs médecins et scientifiques dont les avis divergent, Pierre Tambourin plaide pour une utilisation large et rapide de l'antipaludéen, mais à deux conditions.

Crédit photo : SPL/PHANIE

La pandémie de COVID-19 se développe rapidement dans le monde. Dans nombre de pays, dont la France, elle se traduit inexorablement par une saturation complète et rapide des services spécialisés de réanimation. En clair, le nombre de malades, graves ou très graves, dépassera très largement nos possibilités d’accueil sans autre solution pour les médecins que de « trier » (quel horrible mot !) ou de prioriser, pour être plus élégant, en un mot sélectionner (sur quels critères ?) les malades susceptibles d’être traités efficacement en abandonnant les autres au monde des soins palliatifs.

C’est une situation dont personne ne peut prédire les conséquences sur l’avenir d’une grande nation. La question est dramatique, au sens plein : combien de ces malades « sacrifiés », auraient survécu si nous avions eu des moyens suffisants pour les traiter ou si leur nombre pouvait, par un moyen ou par un autre, diminuer et rester compatible avec nos possibilités d’accueil thérapeutique.

Cette obligation de tri, même si elle n’est pas nouvelle dans la pratique médicale, comme le dit Axel Kahn, pose des problèmes éthiques parmi les plus difficiles. Philippe Kourilsky me faisait remarquer, un jour que nous parlions de cancérologie, qu’à force d’accumuler des exigences éthiques, toutes a priori louables, on arrivait à un bilan global non éthique en raison du temps, devenu très excessif, nécessaire pour mettre sur le marché une molécule nouvelle efficace.

Certes, les autorités de santé ont démontré par le passé, et démontrent toujours, leur capacité d’adaptation, dans des situations exceptionnelles, en permettant par des Autorisations Temporaires d’Utilisation (ATU) l’usage contrôlé d’une molécule n’ayant pas encore franchi toutes les étapes de la certification ou de l’agrément. Ces ATU constituent un progrès indéniable dans la recherche médicale. Mais elles impliquent un nombre faible de malades compatibles avec un suivi médical approfondi, ce qui n’est pas la situation actuelle.

Un effet indiscutable pas encore démontré in vivo

L’hydroxychloroquine et son possible usage comme médicament pour traiter l’épidémie de COVID-19 pose un problème plus complexe encore. C’est une molécule, substitut de la quinine, découverte dans les années 1940, prescrite comme anti-paludéen, ayant induit des résistances non négligeables, utilisée plus largement mais avec beaucoup de prudence quant aux doses utilisées dans des connectivites (maladies auto-immunes comme le lupus, l’arthrite rhumatoïde, etc.), à la toxicité indiscutable, parfois redoutable, due en partie au temps de vie très long et très variable de cette molécule dans l’organisme (plusieurs semaines ou mois).

Elle est une molécule très prisée des rhumatologues. Elle s’est révélée inhibitrice de virus, comme le SARS, mais essentiellement in vitro et pratiquement pas in vivo. Dans le cas du COVID-19, l’hydroxychloroquine démontre également un effet inhibiteur in vitro sur la multiplication du virus. Un effet indiscutable in vivo n’a pas encore été démontré. Ces différences pourraient aisément s’expliquer par ses propriétés immunomodulatrices et anti-inflammatoires, elles aussi bien connues qui, in vivo, pourraient contrecarrer les effets antiviraux. On peut, aussi, plus simplement penser à des cellules in vitro très différentes des cellules cibles du virus in vivo. De là, la grande prudence des experts.

Face à ce produit, on trouve des médecins et des chercheurs partagés en deux camps : un groupe de taille modeste, conduit par Didier Raoult, scientifique de qualité, souhaite, au vu de leurs connaissances cliniques et scientifiques du produit, pouvoir l’utiliser largement dans le traitement du COVID-19 pour éviter, selon eux, le tsunami qui submergera les hôpitaux et, si possible, offrir à tous les malades une possibilité de traitement efficace.

L’autre groupe, plus imposant, plus calme, de spécialistes incontestables, exige, au nom de l’éthique, au nom de l’absence de résultats in vivo et des effets toxiques de cette molécule, que la réalité de ses effets in vivo soit clairement démontrée avant toute utilisation massive chez l’homme. Or, chacun sait que cette éventuelle démonstration n’interviendra pas avant la vague de malades en situation clinique très grave, vague accentuée par des mesures de confinement prises trop tardivement et insuffisamment respectées.

À côté de ces deux problématiques, d’un côté le médicament, de l’autre, des médecins divisés, on trouve la masse des malades avérés, la masse plus importante de ceux qui ont peur de le devenir et la masse plus importante encore de ceux qui voudraient, à l’image de ce qui se fait dans le traitement pour le paludisme, prendre à leur guise ce médicament comme moyen de prévention.

Sans hydroxychloroquine, le désastre médical est devant nous

Dans ce débat complexe, il est difficile de ne pas se perdre. Sans utilisation d’hydroxychloroquine (ou de toute autre molécule susceptible d’atténuer les symptômes), le désastre médical est devant nous, inéluctable, quel que soit le dévouement de tous ceux qui, au sein des hôpitaux, se battent jour et nuit pour sauver un maximum de malades du COVID-19 mais aussi pour aider les malades atteints d’autres pathologies ou dont on a reporté l’opération par manque d‘un personnel médical fortement mobilisé par le COVID19. Avec l’hydroxychloroquine, nombre de ces malades survivront, peut-être, au prix parfois d’effets secondaires graves, voire dans certains cas mortels.

Il est donc parfaitement normal que face à des questions aussi difficiles, un pays se divise. Pour ma part, il me semble que le choix doit être clairement fait en répondant en notre âme et conscience à trois questions.

1) Suis-je prêt, étant malade, à être écarté d’un traitement efficace pour laisser la place à un autre patient à probabilité de survie potentielle très supérieure à la mienne ? La réponse sera non, bien sûr. Qui peut accepter de vivre un tel choix ? La réponse sera : traitez les deux !

2) Suis-je prêt, au vu de mon état de gravité, à prendre, de l’hydroxychloroquine avec comme conséquences possibles : pas d’effet / un effet mineur / un effet secondaire peut-être grave / un effet thérapeutique incertain mais pas impossible sachant qu’il n’y a pas d’autre solution ? La réponse sera oui (et pour ce qui me concerne, sans réserve).

3) Si je ne présente encore aucun caractère d’une infection par le COVID-19 et si j’ai été au contact avec des porteurs de ce virus, puis-je prendre de l’hydroxychloroquine à titre préventif ? La réponse doit être clairement non.

Oui à une utilisation immédiate et très large, mais à deux conditions

On a compris qu’en dépit du peu de connaissances actuelles de la sensibilité du COVID-19 à l’hydroxychloriquine, je plaide pour son utilisation immédiate, très large mais à condition que : 1) Les malades pouvant en bénéficier soient clairement informés de ses effets toxiques possibles en particulier que l’automédication peut être très dangereuse. 2) Ce médicament ne soit administré que par des médecins ayant une connaissance suffisante des effets secondaires de ce médicament, ce qui impose une information immédiate et complète du corps médical assortie de recommandations très strictes de la Haute Autorité de Santé sur les modalités d’utilisation à respecter prenant en compte les connaissances, mêmes réduites, apportées par nos collègues chinois et les équipes françaises ayant utilisé ces médicaments

Je n’ose imaginer une situation où la vague de malades graves, avec son cortège de centaines ou de milliers de morts, serait là et la démonstration ultérieure que l’hydroxychloroquine, refusée avant et pendant cette période, pour les raisons évoquées ci-dessus, est bien un médicament efficace ! Nous ne sommes plus du tout dans la situation de 1985 du virus du SIDA et de la ciclosporine.

Pierre Tambourin Cancérologue, Virologiste

Source : lequotidiendumedecin.fr