En larmes, le Pr Agnès Buzyn passe la main à son « confrère hospitalier » le Dr Olivier Véran, attendu au tournant

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Publié le 17/02/2020
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Crédit photo : S. Toubon

Jamais Agnès Buzyn n'était apparue aussi émue devant les caméras. C'est en larmes et la voix parfois étouffée par des sanglots qu'elle a confié ce lundi 17 février les clés de Ségur à son successeur, le médecin et député Olivier Véran. « Ma gratitude est immense et mon émotion le traduit », a déclaré l'hématologue devant ses secrétaires d'État et les personnels du ministère venus nombreux pour l'écouter.

La nouvelle candidate LREM à la mairie de Paris est revenue sur son bilan en deux ans et demi à la tête du ministère de la Santé. Loi Ma santé 2022, réforme des études, plan hôpital, 100 % santé, lutte contre la pauvreté, bioéthique, retraites… « Les défis qui se présentaient devant nous en 2017 étaient immenses et nous ne les avons pas esquivés [...]. Il faut poursuivre nos efforts », a-t-elle fièrement énuméré.

S'adressant directement à son « confrère hospitalier » et successeur, Agnès Buzyn s'est montrée très élogieuse : « je sais que tu es prêt, ta nomination n'est en rien une surprise ». Et la désormais ex-ministre de poursuivre, « nous partageons tous les deux la même rigueur, la même exigence, la même conviction au service de la santé et je pense pouvoir dire à tous les Français la chance qu'ils ont d'avoir Olivier ».

S'agissant de la capitale, Agnès Buzyn a fermement déclaré vouloir « lancer un nouveau départ » après « les imprévus parfois indignes d'une campagne ». Paris « a besoin d'apaisement, de bienveillance et d'une ambition nouvelle », assure-t-elle. Et aux commentateurs qui la donnent déjà perdante à un mois du scrutin, elle cite Winston Churchill : « Le succès n'est pas final, l'échec n'est pas fatal, c'est le courage de continuer qui compte. »

Rassurer tout de suite la ville

Olivier Véran entre lui au ministère avec « beaucoup de fierté » et une « immense responsabilité ». Le neurologue isérois se met à la tâche avec « la même ambition » afin de poursuivre les « changements sans précédents amorcés » par Agnès Buzyn, « grande ministre et grande femme d'État ».

Dès cet après-midi, il défendra devant l'Assemblée nationale le projet de loi sur la réforme des retraites dont il était jusqu'à présent co-rapporteur. À plus long terme, le nouveau ministre veut « redonner du sens aux plus belles missions qui puissent être », celles de l'hôpital public. Remédicalisation de la gouvernance, reprise de la dette, transparence de l'accès aux données, réforme du financement… Olivier Véran le promet, il « réformera l'hôpital en y associant ceux qui le font vivre au quotidien ».

Souvent accusé par les libéraux de porter une vision trop hospitalocentrée, le neurologue s'est montré tout de suite rassurant : « Ce don de soi, on le retrouve tout autant dans le secteur de la médecine de ville, seule la façon de s'organiser dans les soins change, le cœur de l'engagement est le même et je ne voudrais pas laisser à penser qu'il y aurait des vocations à deux vitesses. » Il recevra d'ailleurs « très prochainement » les ordres et les syndicats de professionnels de ville. Le nouveau locataire de Ségur n'oublie pas l'actualité : le coronavirus reste « la priorité numéro un de ce ministère ».

Un médecin laisse donc sa place à un autre médecin, Olivier Véran n'a pas manqué de le rappeler. « Il se trouve que ce matin, comme tous les lundis matin j'étais censé être en consultation avec ma blouse blanche au CHU », a rappelé le nouveau ministre dans un sourire.

Mépris et culot

Olivier Véran reprend le flambeau à Ségur sur fond de crise majeur à l’hôpital. À peine nommé, le nouveau ministre a promis « pour les prochains jours », le lancement d’une « enquête nationale pour consulter les hospitaliers » et « tenter de saisir le sens de leur engagement auprès du public et les raisons du mal-être qu’ils disent depuis un certain nombre d’années désormais ». Vendredi 14 février, les collectifs inter-hôpitaux (CIH) et inter-urgences (CIU) défilaient pour la troisième fois dans la rue alors que le mouvement de contestation qu’ils portent fêtera sa première année le 18 mars.

Dans ce contexte, le départ d’Agnès Buzyn est considéré comme du « mépris » par les personnels hospitaliers mobilisés. « Paris vaut bien un hôpital », a commenté le CIU alors que Hugo Huon, son président, a critiqué dimanche auprès de l’AFP le « culot » de l’ancienne ministre alors que « tout reste à faire pour l’hôpital ». « Le changement d’interlocuteur ne change en rien les revendications des personnels hospitaliers accompagnés des usagers et des associations de patients », écrit de son côté le CIH. « On nous enlève le commandant du navire en pleine tempête », a réagi sur LCI le Dr Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF).

À l’inverse, le Dr François Braun, président de SAMU-Urgences de France (SUDF) a salué auprès de l’AFP le travail de la ministre sortante et « l’investissement public pour les patients » de son successeur. Le Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi (SNPHARe) se félicite quant à lui de « l’arrivée d’un praticien hospitalier à cette haute fonction » et demande à être reçu au ministère. Il dit attendre du nouveau locataire de Ségur « des signes forts d’attractivité » alors que « l’hôpital public subit une asphyxie sans précédent ». « On connaît tous Olivier Véran depuis un moment, son arrivée au ministère ne constitue pas un bouleversement mais c'est plutôt bon pour nous », ajoute Jacques Trévidic, président d'Action praticiens hôpital (APH).

Chez les jeunes, l’accueil est tout aussi mitigé. Si l’Intersyndicat national des internes (ISNI) a décidé de « donner l’opportunité à monsieur Olivier Véran de faire preuve d’ouverture aux problématiques qui secouent les internes » en levant son préavis de grève illimitée à partir du 19 février, leurs homologues de l’Avenir des jeunes pharmaciens hospitaliers (AJPH) voient rouge. « L’hôpital brûle et Agnès Buzyn regarde l’hôtel de ville », ont-ils écrit sur Twitter.

Côté fédérations, l’arrivée d’Olivier Véran est accueillie avec une relative bienveillance. La Fédération hospitalière de France (FHF) « félicite Olivier Véran » et l’appelle à « s’engager pour l’organisation d’une convention citoyenne pour la santé ». « Le nouveau ministre peut compter sur l’hospitalisation privée », a pour sa part commenté Lamine Gharbi, président de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP).

Les libéraux partagés sur le nouveau ministre

« La ministre de la Santé en charge des dossiers les plus importants du pays a donc fait le choix d’abandonner ses fonctions ministérielles pour privilégier l’intérêt de la République en marche », analyse côté libéraux le Dr Jérôme Marty, président de l’Union française pour une médecine libre-Syndicat (UFML-S). Loin de faire le même constat, le Syndicat des médecins libéraux (SML) applaudit l’arrivée d’Olivier Véran à Ségur. 

La structure présidée par le Dr Philippe Vermesch se « souvient du passé syndical d’Olivier Véran à l’ISNI » et de son rôle, pendant la campagne présidentielle de 2017, lors de laquelle il avait été le « véritable artisan de la reprise de contact entre ce qui allait devenir la majorité et les médecins libéraux ». Depuis cette époque, Jean-Paul Hamon (FMF) est déçu : « qu'a fait Olivier Véran pour la médecine libérale ? Rien. »

Dans l'entre-deux, le Dr Jean-Paul Ortiz (CMSF) apprécie un homme « sympathique et ouvert au dialogue » mais se méfie de son côté hospitalocentré. Le Dr Jacques Battistoni (MG France) aimerait bien en dire plus sur le nouveau ministre mais, signe que la rupture entre l'hôpital et la ville est toujours là, « ne le connaît pas plus que ça »

 


Source : lequotidiendumedecin.fr