« J'ai tout vu, j'ai pressenti un danger » : sur le gril de la commission d'enquête, Agnès Buzyn assume sa gestion de la crise sanitaire

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Publié le 01/07/2020

Crédit photo : S.Toubon

La France a anticipé l'épidémie de coronavirus « sans commune mesure avec les autres pays européens » et a été « toujours en avance » par rapport aux alertes des organisations internationales, a affirmé le 30 juin l'ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn à la commission d'enquête de l'Assemblée nationale chargée d'évaluer la gestion française de la crise sanitaire, qui l'a auditionnée plus de 4 heures.

« Vous ne pouvez pas dire qu'on n'a pas été réactifs », a-t-elle insisté devant la commission. Ne cessant de fouiller dans ses nombreuses notes, l'ex-locataire de Ségur a remonté l'historique de ses décisions. Elle explique avoir suivi son « intuition » très tôt dans le début de la crise. Dès le 22 janvier, l'OMS précise que la transmission inter-humaine du coronavirus est possible. Quelques jours plus tard, le 24 janvier, les premiers cas Français importés de Chine se déclarent sur le territoire. C'est le déclic chez Agnès Buzyn, qui demande dans la foulée un état de lieux de tous les stocks d'équipements de protection, et notamment de masques, ainsi que du nombre de lits de réanimation et de respirateurs, et lance une première commande d'un million de masques FFP2, absents des stocks stratégiques d'État.

La ministre commande aussi à Santé publique France « trois scénarios d'évolution de l'épidémie en 24 heures » et aux structures de recherche « un protocole de recherche » avec les médicaments déjà disponibles.

« L'OMS ne déclare que le 30 janvier l'urgence sanitaire internationale, cinq jours après mes décisions », affirme-t-elle.

Deux jours avant son départ du ministère pour s'engager dans la campagne des municipales à Paris, le 16 février, le Centre européen de prévention et contrôle des maladies (CDC) évaluait encore le risque pour la capacité des systèmes de santé européens comme « faible à modéré », a-t-elle souligné.

« Je n'ai à aucun moment sous-estimé le risque et j'ai préparé notre système de santé » avant de quitter le ministère, a-t-elle encore réaffirmé, ajoutant « assume (r) totalement les décisions prises par (ses) services et (son) ministère ».

La gestion des stocks ne revient pas à la ministre

Symbole de l’impréparation de la France à la pandémie, la gestion de stocks a cristallisé une partie des discussions. Agnès Buzyn assure que cette mission « ne revient pas au niveau du ministre », mais à Santé publique France en lien avec la Direction générale de la santé (DGS).

Interrogée par les députés, l'ex-ministre a notamment assuré ne pas avoir eu connaissance du courrier adressé par Santé publique France à la direction générale de la santé en septembre 2018, qui informait de la péremption d'une part importante du stock stratégique d'État de masques et recommandait d'en racheter 1 milliard. Elle explique par contre avoir retrouvé une lettre datant de début octobre 2018 portant sur la commande d'une dizaine de produits en plus des masques. « La ministre n’a pas à connaître la totalité des produits en stock. (…) Ce dont je dois m’assurer, c’est qu’il y a une chaîne de commandement », a-t-elle déclaré devant la commission d'enquête, précisant que les comprimés d'iode en cas de risque nucléaire et les tenues de protection Ebola sont tout aussi importants.

Elle ajoute que ce n'est pas non plus elle qui a pris la décision de détruire les masques jugés non conformes ou pourris alors que le stock n'avait pas encore été reconstitué.

En revanche, elle a souligné que « des interrogations » existaient sur le « contrôle des stocks » ces dernières années. « Apprendre en 2018 qu'une grande partie des stocks est périmée… Ça nécessite de requestionner comment ça a fonctionné », a-t-elle avancé.

L'Élysée et Matignon alertés le 11 janvier

Enfin, concernant ses propos tenus au journal « Le Monde », l'ex-locataire de Ségur a confirmé aux députés avoir alerté l'Élysée et Matignon le 11 janvier sur un danger potentiel d'un coronavirus. « Autour du 11 janvier, la Chine enregistre un décès et nous savons qu'il est lié à un coronavirus », cela constitue « un nouveau niveau d'alerte » et « je décide d'informer le président de la République et le Premier ministre qu'il existe un phénomène en Chine », a-t-elle déclaré devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la gestion de la crise sanitaire.

Dans cet article publié le 17 mars, Agnès Buzyn estimait avoir « vu la première ce qui se passait en Chine : le 20 décembre, un blog anglophone détaillait des pneumopathies étranges. J'ai alerté le directeur général de la santé. Le 11 janvier, j'ai envoyé un message au président sur la situation. Le 30 janvier, j'ai averti Édouard Philippe que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir ». « Une phrase que j'ai lancée » et « pas une alerte formelle », précise-t-elle. Concernant d'autres propos tenus et notamment du tollé qu'elle avait suscité en assurant savoir que « la vague du tsunami était devant nous » , elle se défend de propos mal compris. « J'avais passé une journée épouvantable, j'étais très fatiguée. On m'accusait sur les réseaux sociaux de n'avoir rien vu, et c'est tout le contraire. (...) J'ai tout vu, j'ai préparé. J'ai pressenti un danger bien avant les autres », riposte-t-elle. 


Source : lequotidiendumedecin.fr