Éditorial

La jurisprudence Buzyn ?

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Publié le 17/09/2021

Va-t-elle payer seule pour l’ensemble du gouvernement ou entraîner Véran et la macronie dans sa chute ? Sera-t-elle au final absoute par les élus membres de la Cour de justice de la République ou condamnée pour sa gestion de la pandémie ? Impossible de prévoir au juste comment évoluera le dossier Buzyn dans les prochains mois. Mais pour l’heure, la mise en examen de l’ancienne ministre de la Santé a quand même de quoi étonner. D’abord, parce qu’elle n’a été que peu confrontée au Covid. Ensuite, parce que, début 2020, les alertes scientifiques n'étaient pas si nombreuses. Enfin, pour des raisons factuelles : par rapport à ses voisins, la France ne paraît pas avoir connu de retard à l’allumage dans le pilotage de cette crise. Hormis, c’est vrai, la gestion défaillante des stocks de masques, au centre des suspicions : mais les fautes sont partagées avec les précédents gouvernements et, si manquements il y a eu depuis 2017, ils paraissent plutôt avoir été le fait du directeur général de la Santé.

Dans cette histoire, Agnès Buzyn semble surtout avoir été bien maladroite. Et c’est pour beaucoup dans les déboires actuels de l’hématologue. Première faute de goût : quitter le ministère aux prémices d’une crise sanitaire pour sauter la tête la première - et sans bouée — dans le grand bain de la politique. Mais qu’allait-elle faire dans cette galère ? Buzyn n’était à l’évidence pas faite pour cette bataille municipale de Paris, de toute façon perdue d’avance. Il fallait savoir rester à sa place. On ne quitte pas le navire Ségur par avis de grand frais, surtout quand on est médecin. Par la suite, les déclarations de l’ex ministre au « Monde » sur sa conscience aiguë et précoce du désastre sanitaire à venir et sur cette élection « mascarade » qui n’aurait pas dû se tenir ont achevé de la décrédibiliser…

Pour autant, il y a quelque chose de gênant dans cette propension croissante de la justice à se mêler de tout, y compris de politique de santé. Dans cette affaire, il n’est pourtant question ni de favoritisme, ni d’escroquerie, ni de falsifications, ni de malversations, ni a fortiori de volonté de nuire. Mais de la façon plus ou moins véloce dont a été géré le début de la pandémie dans notre pays. Bien sûr, c’est un sujet majeur et un questionnement légitime en démocratie. Et c’est normal que le Parlement s’en préoccupe ; d’ailleurs, il ne s’en est pas privé. Mais ce n’est pas à un tribunal d’exception de décider de ce qu’il aurait fallu faire et de donner ou non quitus à une responsable gouvernementale qu'on accuse de « mise en danger de la vie d'autrui », un acte aussi grave que délibéré. Gare ! Si cet interventionnisme judiciaire se confirmait, le risque serait de faire tomber nos décideurs dans un principe de précaution systématique qui, à force, pourrait mener l'action publique à la démesure ou la confiner à la paralysie.

Jean Paillard

Source : Le Quotidien du médecin