La simulation pour mieux communiquer entre soignants au bloc

Publié le 17/06/2022
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Suite à une étude sur l’intérêt de la simulation dans l’amélioration des compétences non techniques au bloc opératoire, les Prs Julien Picard et Pierre Albaladejo (Grenoble) ont été contactés par un assureur, Branchet, qui propose à ses médecins de suivre une sensibilisation à la communication en équipe fondée sur les résultats de ce travail.
Aménagée comme un bloc opératoire, cette unité mobile de formation de 70 m2 se déplace en régions pour sensibiçliser aux Soft Skills

Aménagée comme un bloc opératoire, cette unité mobile de formation de 70 m2 se déplace en régions pour sensibiçliser aux Soft Skills
Crédit photo : DR

« Dans un monde où les compétences techniques au bloc opératoire ont été améliorées par la mise en place de procédures per-opératoires rigoureuses et exigeantes, la seule voie d’amélioration de la qualité de soins passe par un travail en équipe sur les compétences non-techniques et en particulier la communication », explique au « Quotidien » le Pr Julien Picard (Grenoble). Au cours de la formation initiale des médecins, ce pan essentiel des soins est très rarement abordé.

D’où l’idée de mettre en place un travail de recherche interventionnel (avant-après) sur les échanges entre professionnels de santé au bloc opératoire (analyse de 40 000 échanges) afin de déterminer si l’incidence des communications non conformes (pas de la bonne manière ou pas au bon moment) pouvait diminuer grâce à une formation en simulation et en équipe. L'étude a été réalisée dans un hôpital universitaire comprenant 39 salles d'opération exploitées par 300 prestataires de soins avant (période 1) et après (période 2) un cours de formation interprofessionnel fondé sur la simulation. Les procédures chirurgicales ont été analysées et le critère principal retenu était le taux de procédures avec au moins un échec de communication associé à un événement indésirable.

Au total, 46 970 épisodes de communication ont été analysés au cours de 131 interventions pour la période 1 et de 122 interventions pour la période 2.164 professionnels ont participé à 40 sessions de simulation. Le taux d'échecs de communication a diminué entre les périodes 1 et 2 (8 117/28 303, soit 29 % vs 3 868/18 667, soit 21 %). Les scores de travail en équipe et le respect de la check-list opératoire ont augmenté de manière significative après l'intervention (8,1 (7,2-8,7) dans la période 1 vs. 8,6 (8,0-9,2) en période 2 ; p < 0,01 et 17 % (0-35 %) en période 1 vs. 44 % (26-57 %) en période 2 ; p < 0,01).

Qualité de vie au travail améliorée

« Ce travail est l’une des premières étapes d’amélioration de la qualité de soins au bloc opératoire au CHU de Grenoble par intervention sur les compétences non techniques. L’une des difficultés que nous avons rencontrées était de définir comment mesurer l’impact de ces programmes. En effet, les critères d’analyse (mortalité, évènements indésirables, durée de séjour hospitalier) sont multifactoriels et il est difficile d’analyser séparément l’impact de chacun d’entre eux », continue le Pr Picard. Parmi les autres pistes explorées des conséquences de la formation à la communication, les anesthésistes grenoblois retiennent le score de qualité de vie au travail, la sécurité émotionnelle des soignants, la sécurité des soins…

À la suite de cette publication, l’assureur Branchet – qui prend en charge deux tiers des anesthésistes et la moitié des chirurgiens libéraux français — a proposé à l’équipe grenobloise de mettre en place des formations en simulation à destination de ses assurés et de leurs équipes opératoires. « La pandémie nous a révélé que, pour les professionnels de santé, prendre soin de soi est essentiel pour mieux prendre soin de ses patients », souligne Philippe Auzinour. Et ça marche : selon le directeur général du cabinet Branchet, « grâce à un travail sur les compétences non techniques (information au patient, infectiologie…), le taux de mise en cause de nos assurés est passé de un tous les trois ans à un tous les quatre ans, soit 2 000 mises en cause par an actuellement, dont 38 % en raison de facteurs humains au sens large (selon l’analyse cartographique des risques). D’où notre idée de proposer des séances de formation fondées sur l’analyse de cas et la mise en situation. Afin de ne pas déstabiliser les programmes opératoires, nous avons équipé un camion (qui se déplace sur le lieu de travail) en bloc opératoire ».

Pour le Pr Picard, « cette approche permet à la fois de libérer la parole progressivement : dans un premier temps les participants sont sensibilisés avec la projection de petits films (parfois un peu caricaturaux) puis, grâce à l’implication de représentants locaux, il est possible d’aborder un évènement qui a eu lieu dans l’établissement. » L'anesthésiste explique que « la démarche de l’assureur, qui a souhaité plutôt former les équipes que de pénaliser les médecins en augmentant leurs cotisations, nous a intéressés car elle est bienveillante. Les premiers retours de formation en Rhône-Alpes nous ont confortés. Nous sommes actuellement en phase de recrutement de formateurs afin de proposer différents angles d’approche adaptés à l’intégralité des équipes ».

Picard J, Evain JN, Douron C et coll. Impact of a large interprofessional simulation-based training course on communication, teamwork, and safety culture in the operating theatre: A mixed-methods interventional study. Anaesthesia Critical Care & Pain Medicine. https://doi.org/10.1016/j.accpm.2021.100991
Exergue : Qualité de vie au travail, sécurité émotionnelle des soignants et sécurité des soins ont été améliorées  par la formation à la communication

Dr Isabelle Catala

Source : Le Quotidien du médecin