« L’enfant ne ment pas. Il dit sa souffrance, sa vérité, qui n’est pas toujours une vérité judiciaire, ni un élément de preuve ; C’est la responsabilité des adultes de recueillir sa parole », rappelle Martine Brousse, présidente de la Voix de l’Enfant.
Pour recueillir au mieux cette parole, l’association a contribué à mettre en place des unités d’accueil médico-judiciaires (UAMJ) pédiatriques, en application de la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs et de la circulaire du 20 avril 1999 qui impose l’enregistrement filmé des témoignages de mineurs agressés. Aujourd’hui, 55 unités existent, pour les victimes d’agressions sexuelles, et plus largement, de maltraitances, au cœur des hôpitaux, opérant un subtil équilibre entre le soin et l’exigence judiciaire.
Audition protégée
Dans les modalités d’organisation, « c’est disparate. Mais le fond est là, et les professionnels se sont approprié ces outils et les ont fait évoluer », explique Martine Brousse. Le « fond » : c’est répondre aux réquisitions de la justice dans un lieu adapté à l’enfant et protecteur, soit « permettre la réalisation dans un même espace-temps de l’audition de la victime, des constatations médico-légales, des expertises judiciaires et pouvoir engager une démarche de soin et sociale si besoin », résume le rapport de mai 2014 de l’Observatoire national de l’enfance en danger. « La 1re révélation doit être faite en présence de gens formés, qui ne vont pas polluer la mémoire de l’enfant », reprend Martine Brousse.
Concrètement, dans le cadre d’une enquête préliminaire, sur décision du procureur, l’enfant est entendu dans une salle d’audition protégée sise dans l’hôpital (dans les services de pédiatrie, d’urgence, de pédopsy). « Un commissariat de police ou la gendarmerie peuvent être des lieux anxiogènes ou choquants. L’hôpital apporte sécurité et confort à l’enfant », commente la présidente de la Voix de l’enfant.
L’audition est menée par des policiers ou des gendarmes, parfois en présence de l’infirmière ou de la puéricultrice qui encadre l’enfant toute la journée. Selon les unités, les professionnels de santé (pédiatres, pédopsychiatres, psychologues) sont présents derrière la glace sans tain ou dans une salle attenante. « Je regarde l’audition dans la salle technique, pour entendre les mots de l’enfant, voir sa gestuelle, observer comment il dit les choses », explique le Dr Barbara Tisseron, chef du service de pédiatrie du CHR d’Orléans. « Nous travaillons main dans la main avec les enquêteurs, qui ne savent pas toujours s’adresser aux mineurs. Ils viennent parfois échanger avec nous dans la salle technique avant de finir l’audition, sur la façon de poser des questions, pour favoriser le récit libre », poursuit-elle.
Au contraire, au CHU de Nantes, il est rare que les professionnels de santé soient derrière la glace. « La brigade de la prévention et de la délinquance juvénile est très rodée. Les gendarmes discutent avec la puéricultrice, qui nous transmet les informations » explique le Dr Nathalie Vabres, pédiatre coordonnateur de l’unité d’accueil des enfants en danger.
Les enfants ne sont pas réinterrogés, du moins à l’hôpital. « On leur demande s’ils ont bien tout expliqué aux gendarmes ; on leur dit que s’ils ont oublié quelque chose, ils peuvent nous en faire part. L’objectif est d’éviter le surtraumatisme ».
Chaque audition est filmée et enregistrée sur DVD. « Lorsque nous installons une UAMJ, nous donnons systématiquement une mallette au tribunal, pour que les magistrats visionnent l’audition. Trop souvent la culture de l’écrit prime », déplore Martine Brousse.
Soins
Ensuite viennent les examens médicaux, gynécologiques et/ou psychologiques, le jour même, à moins que l’enfant ne soit épuisé. Le travail pluridisciplinaire est essentiel. « C’est important de voir, d’entendre et de comprendre à plusieurs, car le cerveau a parfois tendance à nier. On peut être sidéré. La maltraitance remue nos émotions d’enfants, qu’on a été, de parents, qu’on peut être. On ne peut pas être neutre, on doit regarder le problème en face, sans pour autant s’y noyer. Lorsqu’on est plusieurs à partager le même ressenti, on se dit que c’est authentique », explique le Dr Vabres.
À l’issue des examens, le mineur peut être hospitalisé - c’est parfois une mesure de protection - ou être orienté vers un suivi à l’extérieur (CMP, PMI, médecin traitant...). L’équipe de l’UAMJ le rappelle dans son lieu de vie 3 semaines plus tard.
Le principe est que les UAMJ ne sont pas responsables du suivi médical, mais seulement de l’évaluation dans le cadre d’une procédure juridique. Pour autant la distinction entre judiciaire et médical est poreuse. « Comment peut-on penser que ce serait éthique de mener un examen judiciaire sans se préoccuper de santé » interroge le Dr Vabres. « Dès l’organisation de la démarche judiciaire, nous sommes dans le soin : dans les questions qu’on pose, ouvertes, simples et non suggestives, dans la conduite de l’examen médical... », explique la pédiatre.
Au CHU de Nantes, l’Unité est aussi un lieu de ressources pour le repérage de la maltraitance. « Il faut des équipes ressources comme pour toute autre pathologie. La maltraitance, c’est un problème de santé publique », conclut le Dr Vabres.
Pas de surrisque pendant la grossesse, mais un taux d’infertilité élevé pour les femmes médecins
54 % des médecins femmes ont été victimes de violences sexistes et sexuelles, selon une enquête de l’Ordre
Installation : quand un cabinet éphémère séduit les jeunes praticiens
À l’AP-HM, dans l’attente du procès d’un psychiatre accusé de viols