Vaccination contre la grippe par les pharmaciens

Les médecins piqués au vif par le projet d'expérimentation

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Publié le 27/10/2016
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vaccin pharmacie

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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

En autorisant à titre expérimental et pour trois ans les pharmaciens à vacciner contre la grippe saisonnière, les députés de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale ont déclenché une salve de protestations, tant chez les médecins, que chez les infirmiers (déjà autorisés à la faire).

Quelles que soient les suites réservées à ce projet, qui doit encore être adopté par la représentation nationale, puis faire l'objet d'un décret en définissant les contours, la levée de boucliers que cette évolution provoque démontre, s'il en était besoin, qu'il est difficile pour les médecins libéraux d'accepter cette disposition.

L'idée de permettre aux pharmaciens de vacciner n'est pas neuve. La loi de santé de Marisol Touraine prévoyait déjà d'autoriser les officinaux à pratiquer certaines vaccinations. À l’époque, c'était d'ailleurs la même commission des affaires sociales de l'Assemblée qui avait supprimé cette disposition, jugeant que les pharmaciens ne disposaient « ni des compétences ni de la formation indispensables ». Marisol Touraine avait entendu ces remarques et annoncé qu'elle proposerait des expérimentations dans un autre cadre législatif.

Et pourquoi pas les pansements ?

Entre-temps, l'opposition des médecins n'a pas faibli, et leurs syndicats font valoir que la multiplication du nombre de vaccinateurs potentiels n'est pas la solution. Pour MG France, « cela ne va pas contribuer à diminuer la défiance des patients envers la vaccination », et la CSMF rappelle que les infirmiers (et les sages-femme) procèdent déjà à des vaccinations, « sans que cela fasse augmenter le taux de couverture ». « Autoriser les pharmaciens à vacciner contre la grippe n'est pas la solution pour régler le problème de la couverture vaccinale en France », assure la FMF.

Les praticiens libéraux militent plutôt pour que les pharmaciens mettent à disposition des médecins traitants des stocks de vaccins dans leur cabinet.

La crispation est tout aussi palpable chez les infirmiers, autorisés eux aussi à pratiquer cette vaccination. « Et puis quoi encore ? », s'énerve l'Organisation nationale des syndicats d'infirmiers libéraux (ONSIL). À la Fédération nationale des infirmiers, on donne dans l'ironie : « Et pourquoi pas demain les pansements ? »

Dépasser les corporatismes

À l'Ordre des pharmaciens, on tente de calmer le jeu. Disant comprendre les craintes des médecins, Carine Wolf, conseillère nationale, en charge de l'exercice professionnel, note cependant que certains d'entre eux ont sur le sujet « une réaction viscérale ». Il faut « dépasser les corporatismes » et se mettre tous autour de la table pour améliorer la couverture vaccinale, indique-t-elle au « Quotidien ». 

Ce sujet serait un important enjeu de santé publique. Selon les chiffres de la CNAM, si 50 % des personnes à risque étaient vaccinées contre la grippe, ce serait 2 000 morts en moins par an, et 3 000 si cette couverture atteignait les 75 %. « Notre seul souci, comme les médecins, c'est l'amélioration de la couverture, insiste Carine Wolf, le médecin doit évidemment rester au cœur du dispositif ». L'Académie nationale de pharmacie est sur la même longueur d'onde, jugeant que « le pharmacien peut faire comprendre en direct aux Français l'intérêt de la vaccination ».

La nécessité d'un effort collectif

Comment lever la prévention des médecins libéraux vis-à-vis du projet ? Le Pr Bruno Lina, président du conseil scientifique du Groupe d'expertise et d'information sur la grippe (GEIG) a sa petite idée. « C'est un effort collectif que nous devons tous engager, indique-t-il, car une bonne prise en charge de la prévention de la grippe échappe aux médecins seuls, même si rien ne se fera sans eux ». Malgré tout, son constat est sans appel : la couverture vaccinale baisse, « même si ce n'est pas la faute des médecins ».

Ces derniers se tromperaient-ils donc de combat en s'opposant au projet de décret ? « Quelque part, un peu », concède Bruno Lina. Il prophétise que les praticiens changeront d'avis, mais à deux conditions. Tout d'abord, il faut que l'ensemble des vaccinateurs actuels et à venir se mettent autour de la table pour définir un objectif et une stratégie. Il faut ensuite de « ne pas griller les étapes » en assurant au préalable la formation des pharmaciens, et en mettant en œuvre une bonne traçabilité des vaccinations entre les professionnels concernés.

Henri de Saint Roman

Source : Le Quotidien du médecin: 9529