Pr Latrémouille : « On a validé le concept de l’hémocompatibilité du cœur Carmat »

Publié le 31/07/2015
Le Pr Christian Latrémouille (à gauche) aux côtés de Marisol Touraine et du Pr Alain Carpentier ...

Le Pr Christian Latrémouille (à gauche) aux côtés de Marisol Touraine et du Pr Alain Carpentier ...
Crédit photo : AFP

Suite à la publication des données cliniques des deux premiers patients implantés avec le cœur Carmat dans le « Lancet », le Pr Christian Latrémouille de l’Hôpital européen Georges Pompidou, qui a mené deux des trois opérations réalisées à ce jour, revient sur les enseignements de ces premiers résultats.

LE QUOTIDIEN : Quelles informations nous apportent ces deux premiers patients en ce qui concerne la viabilité du cœur Carmat ?

Pr Christian LATRÉMOUILLE : Ce sont des résultats exceptionnels. On valide les concepts de l’hémocompatibilité et de la biologisation de la prothèse. Nous restons prudents, car nous n’avons que deux patients analysés mais notre critère principal, la survie à 30 jours, a été largement atteint dans les deux cas.

Lors de l’autopsie du premier patient, il n’y avait pas de thrombus dans la bioprothèse, malgré un arrêt prolongé de l’anticoagulation. Un cœur artificiel qui ne nécessite pas, ou peu, d’anticoagulation est-il donc envisageable ?

C’est un signe essentiel. Nous ne prétendons pas que l’on peut se passer d’anticoagulant ou d’antiagrégants, mais nous pensons qu’on devrait pouvoir réduire les niveaux d’anticoagulation.

On voit très souvent, chez des patients qui restent longtemps en réanimation, des hémorragies et des ulcères gastriques causés par le stress de l’organisme. Dans ce contexte, la prothèse Carmat est très confortable puisqu’elle permet d’envisager des fenêtres sans anticoagulation pour éviter les hémorragies digestives.

Les deux patients étaient en insuffisance cardiaque terminale. Le premier a survécu 74 jours sans quitter l’hôpital alors que le second a survécu quatre mois et a pu rentrer chez lui. Qu’est ce qui explique ces différences ?

Ces deux patients avaient des profils similaires, répondant aux critères d’inclusions et d’exclusions (insuffisance cardiaque biventriculaire irréversible terminale non susceptible d’être levée par une assistance circulatoire, inéligibilité à la transplantation, LVEF inférieur à 30 %). Malgré cela, l’écart d’âge de dix ans entre les deux patients (76 ans contre 68 ans) se ressent au niveau des comorbidités. Le patient le plus âgé avait un peu de diabète et de broncho-pneumopathie chronique obstructive, ce qui est classique à cet âge-là. Par ailleurs, la qualité des tissus diminue avec l’âge.

La prothèse est-elle déjà capable d’autoréguler son fonctionnement ?

La prothèse complète disposera d’une régulation médicale automatique, qui permettra notamment d’adapter son fonctionnement à l’effort du malade. Pour l’instant, nous sommes encore dans l’étude de faisabilité où l’on profite de l’implantation, patient après patient, pour améliorer le système. Nous ne sommes donc pas encore en présence d’une régulation entièrement automatique.

Quelle était la nature des dysfonctionnements observés chez les deux patients ? Est-ce le cœur lui-même qui était en cause ou le système de régulation ?

Ces dysfonctionnements ont été analysés par les ingénieurs et ne se reproduiront plus. Ils concernaient la partie mécanique du cœur. J’insiste sur le fait que c’est la première fois que l’on implante des prothèses aussi sophistiquées, aussi lourdes, aussi consommatrices d’énergie et productrices de chaleurs.

C’est aussi la première fois que l’on tente le pari de la « destination therapy », c’est-à-dire une implantation définitive, qui ne se réalise pas en attente d’une transplantation cardiaque. Il est donc inévitable que cela se termine par la mort du patient.

Une des patients a souffert d’une effusion péricardique, comment est-ce possible avec une prothèse totale de cœur ?

Un épanchement dans le péricarde est quelque chose d’extrêmement banal que l’on retrouve dans 15 % des patients, toutes chirurgies cardiaques confondues. Cela peut correspondre à un saignement, si l’épanchement péricardique est précoce, mais cela peut aussi correspondre à une réaction du péricarde, qui va sécréter du liquide dans le cas d’un épanchement à distance. Comme dans toute intervention de chirurgie cardiaque, le patient conserve son péricarde que nous refermons autour de la prothèse.

Damien Coulomb

Source : lequotidiendumedecin.fr