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Dossier

Une nouvelle gouvernance des territoires ?

Quand les régions s'emparent de la santé

Par Loan Tranthimy - Publié le 18/06/2021
Quand les régions s'emparent de la santé

Valérie Pécresse (Ile-de-France), Jean Rottner (Grand Est), Xavier Bertrand (Hauts-de-France), Renaud Muselier (PACA), François Bonneau (Centre-Val de Loire) et Carole Delga (Occitanie) : des élus locaux offensifs sur la santé
AFP

Même si la santé ne relève pas des compétences directes des régions, elle s'est imposée dans la campagne pour ces élections (20 et 27 juin). Souvent en première ligne dans la crise sanitaire, les conseils régionaux se sentent légitimes pour réclamer un nouveau partenariat avec l'État. Gouvernance de la santé, action sur l'offre de soins, financement : de Xavier Bertrand à Valérie Pécresse, de Jean Rottner à Renaud Muselier, les leaders montent au front sur ces thématiques.

L'épidémie de Covid-19 aurait-elle tout changé ? Les régions ont en tout cas montré très tôt leur capacité et leur agilité à agir dans l'urgence sanitaire. Et elles ne se contentent plus d'un strapontin sur la santé.

« Nous avons été des capitaines de tempête, des managers de crise », revendiquait Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, alors que la deuxième vague épidémique frappait le pays. Mobilisation des entreprises locales pour fabriquer des masques, achats directs et massifs d'équipements de protection, commandes de tests, transports gratuits pour les soignants : sur bien des sujets, les régions ont pris la main, palliant parfois les carences de l'État. De fait, ces initiatives locales des barons locaux ont empiété parfois sur les compétences des agences régionales de santé (ARS), bras armés de l'Etat dont la gestion centralisée a été critiquée. Un essai que beaucoup de leaders régionaux cherchent à transformer.

Dans la campagne des régionales, plusieurs président(e)s de ces collectivités territoriales ont non seulement revendiqué leur rôle durant l'épidémie mais aussi affiché leurs ambitions en matière de formation, de prévention, de gouvernance sanitaire et de lutte contre la désertification médicale.

Maisons de santé et bus médicaux

Depuis quelques années déjà, l'accès aux soins est devenu une préoccupation majeure des régions. Pour répondre aux difficultés de leurs administrés à trouver un généraliste ou un spécialiste de proximité, les conseils régionaux ont fait du soutien à l'installation des praticiens leur cheval de bataille, un mouvement qui s'amplifie.

L'accompagnement des modes d'exercice collectif (maisons et centres de santé), plébiscités par les jeunes médecins, a été érigé en priorité. En Île-de-France, région très touchée par la pénurie médicale, Valérie Pécresse revendique le financement de 89 maisons de santé pluridisciplinaires. « 140 communes franciliennes ont vu au moins un professionnel de santé s'installer grâce à l'aide de la région », se félicite la candidate à sa réélection. L'ex-LR, aujourd'hui à la tête du mouvement « Libres! », promet « d'aller plus loin » dans un nouveau mandat éventuel avec un plan d'« un milliard d'euros » pour financer notamment la création d'une MSP « dans chaque ville de plus de 10 000 habitants ». Et pour rendre accessible la médecine de premier recours aux habitants les plus éloignés du système de santé, elle ambitionne de créer une flotte de « bus médicaux », à l'instar des bus de vaccination dans le cadre du Covid.

Télémédecine et ingénierie

Même volontarisme affiché dans les Hauts-de-France, dont les zones rurales comptent 20 % de généralistes en moins que la moyenne française (et pire dans certaines spécialités). Le conseil régional présidé par l'ex-ministre de la Santé Xavier Bertrand revendique 47 MSP financées (sur les 183 labellisées) à hauteur de 17 millions d'euros sur la mandature. Et la majorité sortante ne compte pas s'arrêter là. « Notre objectif est d'accompagner tous les projets de MSP adaptés à l'organisation territoriale. Mais attention, cela ne sert à rien de créer une structure sans médecins dedans », précise au « Quotidien » Grégory Tempremant, conseiller régional et premier vice-président de la commission des affaires familiales et sociales dans l'équipe de Xavier Bertrand.

Sur l'offre de soins, les régions n'hésitent plus à actionner de multiples leviers financiers dont l'attribution de bourses aux internes effectuant des stages dans les zones déficitaires ou des aides complémentaires à la primo-installation dans les zones prioritaires. Dans les Hauts-de-France, 500 euros de prime mensuelle ont été accordés pour 24 mois aux chefs de clinique qui vont exercer dans les hôpitaux périphériques. La région PACA met sur la table 280 000 euros pour aider onze généralistes à visser leur plaque en milieu rural.

Chargées de réduire la fracture numérique, les régions investissent aussi sur le déploiement de la télémédecine, en subventionnant des plateformes de e-santé. « On a financé le matériel de neuf projets de télémédecine pilotés par des spécialistes pour 300 000 euros », revendique le Dr Renaud Muselier, président sortant et candidat à sa réélection en PACA. Dans le Grand Est, le soutien passe aussi par l’ingénierie. « Nous avons équipé des structures coordonnées, les EHPAD et les professionnels libéraux pour assurer des prises en charge intégrant des solutions de télémédecine », détaille au « Quotidien » le Dr Jean Rottner, président LR sortant.

Salariat, nouvelle marotte

La prise en main des régions sur la santé s'opère parfois de façon encore plus directe.

En Centre-Val de Loire, François Bonneau, président socialiste sortant, a misé sur le salariat médical pour compléter l'offre de soins. Dans une région où un habitant sur cinq est privé de médecin traitant, l'élu s'est engagé fin 2019 à recruter 150 généralistes à temps plein d'ici à 2025 — répartis dans 30 centres de santé implantés dans les zones fragiles. Une dizaine de médecins ont déjà été embauchés. Ils travaillent 35 à 39 heures par semaine pour un salaire compris entre 4 500 et 9 500 euros bruts (indexé sur celui de la fonction publique hospitalière). Et pour le prochain mandat, la région prévoit de salarier 150 praticiens supplémentaires...

La voie du salariat a aussi inspiré Laurent Wauquiez (LR), qui veut l'expérimenter en Auvergne Rhône-Alpes, mais surtout Carole Delga (PS) en Occitanie, avec une vision à très grande échelle. La présidente sortante ambitionne ainsi de recruter 200 médecins salariés (et infirmières en pratique avancée) d'ici à six ans. « Avec l'ARS, nous avons identifié 47 territoires déficitaires, plutôt ruraux, où nous souhaitons renforcer la présence médicale », précise le Pr Vincent Bounes, numéro deux sur sa liste aux régionales. Le patron du SAMU de Toulouse espère convaincre des médecins en début de carrière avec un « accompagnement très serré » et un salaire « adapté » (environ 5 000 euros net par mois).

Big bang territorial ?

Face à l'urgence, les régions réclament désormais d'autres prérogatives pour agir sur l'organisation sanitaire (lire aussi page 12). « Nous pourrions nous charger de la construction et de l'entretien de certains équipements des CHU et centres hospitaliers régionaux », avance le Pr Bounes. Dans le Grand Est, Jean Rottner aimerait que « la décision des postes de stages d'internes, aujourd’hui confiée aux ARS et aux CHU, soit revue pour qu’il y ait davantage d'adéquation entre les besoins des CHU et ceux des territoires périphériques ».

Après l'expérience de la crise sanitaire, l'État franchira-t-il une nouvelle étape vers la décentralisation du système de santé ? Déjà, des régions revendiquent la présidence ou la coprésidence du conseil d'administration de l'ARS. Cela permettrait de « définir les stratégies d'investissement en fonction des besoins locaux en offre de soins », plaide Grégory Tempremant (Hauts-de-France). Avant même la pandémie, Xavier Bertrand, au congrès CHAM fin 2019, avait étrillé le dirigisme et le centralisme des ARS, invitant l'État « à lâcher prise », et souhaitant replacer les régions « dans une relation directe avec les citoyens »« Il ne s'agit pas de faire une révolution mais il est utile que les élus soient là dans l'organisation territoriale de la santé », abonde Renaud Muselier (PACA).

Dans ce contexte, certains leaders régionaux appellent l'exécutif à utiliser le projet de loi « 4D » (décentralisation, différenciation, déconcentration et décomplexification), examiné en juillet au Sénat, pour amorcer un big bang territorial. La santé en fera-t-elle partie ?

Loan Tranthimy