L’Élysée avait promis des annonces concrètes aux soignants, ils ont été en partie servis. Pour la toute première fois, Emmanuel Macron a présenté ce vendredi ses vœux aux professionnels de santé – hospitaliers et libéraux – devant 180 salariés du Centre Hospitalier Sud Francilien (CHSF) de Corbeil-Essonnes.
D’office, le président a fixé son cap : sortir « d’un sentiment de crise sans fin » pour la médecine, qui pousse les soignants à « l’épuisement personnel et collectif ». En visite dans les services hospitaliers ce matin, Emmanuel Macron avait fait savoir aux soignants qu’il fallait « arriver à faire hors crise ce qu’on a fait pendant la crise ». Tout en soulignant « qu’il n’y a pas de recette miracle », le locataire de l’Élysée a distillé ses annonces, avec un leitmotiv : « réorganiser, décloisonner et coopérer ». Son discours programme associe des engagements nouveaux et des idées recyclées.
10 000 assistants médicaux en ville
Dès le début de l'année, le président s’est fixé comme premier objectif de « dégager du temps médical » face à la pénurie de médecins. Sans surprise, Emmanuel Macron souhaite accélérer le recrutement d’assistants médicaux en médecine de ville. « On va accroître les financements » a-t-il assuré, espérant passer d’ici à la fin de l’année prochaine la barre des 10 000 assistants médicaux recrutés (contre 4 000 aujourd'hui). Le président imagine aussi développer ce système – issu de la ville – à l’hôpital, en basculant des emplois administratifs et logistiques au plus près des équipes soignantes.
Hôpital : en finir avec la rigidité des 35 heures ?
Autre « défi des prochains mois » pour le chef de l’État : « garder le personnel » à l’hôpital, en évitant la fuite vers le privé. Un regain d’attractivité qu’Emmanuel Macron veut obtenir en réorganisant le temps de travail à l’hôpital, avec plus de souplesse. Devant un parterre d'infirmiers, de médecins, d'élus et de directions hospitalières, le président a annoncé qu’il souhaitait s’attaquer aux 35 heures à l’hôpital, un système synonyme d’« hyperrigidité » qui a « profondément perturbé l'hôpital ». « Le système ne marche que par des heures supplémentaires », a déploré le président. D'ici au 1er juin 2023 donc, il souhaite « remettre à plat » le temps de travail hospitalier, pour aboutir à « une meilleure organisation ».
Dans la même veine, le chef de l’État veut confier les plannings à la main des services, censés (re)devenir « l’unité organique et humaine de l’hôpital ». D'ici à juin, là encore, tous les hôpitaux devront avoir concerté leurs équipes (et finaliser les discussions) pour permettre à « chaque service de s’organiser en autonomie et en liberté », exhorte Emmanuel Macron.
Management bicéphale
Côté gouvernance et management, il entend installer « un vrai tandem administratif et médical » à la tête des hôpitaux et éviter ainsi certaines dérives bureaucratiques. Un co-management médical qui a déjà commencé en réalité avec les textes de médicalisation.
Engagement est pris aussi de mieux gérer mieux les évolutions de carrières des hospitaliers (infirmières, PH, aides-soignantes) et de pousser les élus à mettre en place d’ici à l’été des plans d’action locaux de logement et de transports dédiés aux soignants (avec des parcs locatifs dédiés et non pas des logements sociaux).
Tarification : sortir de la T2A, valoriser les missions
Annonce importante, après déjà des évolutions en ce sens, Emmanuel Macron a annoncé cette fois vouloir « sortir de la tarification à l’activité (T2A) dès le prochain PLFSS ». Le chef de l‘État souhaite aller vers un nouveau financement des établissements – publics comme privés – « basé sur des objectifs de santé publique, négociés à l'échelle d'un territoire ». « Il doit y avoir une rémunération effective des missions réalisées par chacun – prise en charge de la mission et de sa complexité – et enfin une part de rémunération à l'activité qui est tout à fait légitime et qui doit continuer », a-t-il résumé. Régulièrement vilipendée par les hospitaliers comme par les élus, la T2A « prend mal en compte les soins non programmés et les activités les plus complexes comme la pédiatrie », a souligné Emmanuel Macron, qui avait rencontré quelques heures plus tôt l’équipe des urgences pédiatriques du CHSF.
PDS-A : impliquer davantage la ville et valoriser ceux qui s'engagent
Pour la médecine de ville, les promesses auront sans doute un goût plus amer. À l’instar de son ministre de la Santé hier, Emmanuel Macron a insisté sur « un pacte de droits et devoirs » pour la médecine libérale, en pleine négo conventionnelle. Le président a épinglé – à demi-mot – les libéraux qui abandonnent la permanence des soins. « On ne peut pas avoir des médecins qui s’épuisent à prendre des gardes tous les week-ends, et avoir la même approche avec ceux qui font un autre choix de vie, ne prennent plus un seul patient », a cadré le chef de l’État. Sans jamais évoquer un retour des gardes obligatoires, réclamé par certains hospitaliers, Emmanuel Macron a dit vouloir « mieux rémunérer les médecins libéraux qui assurent la permanence des soins et ceux qui prennent de nouveaux patients ».
Ces « récompenses » dont pourront aussi profiter les libéraux qui accueillent des internes ou ceux qui « viennent aider quand il y a un coup de chauffe » – selon les mots du président – devront « concentrer l’effort financier des négociations conventionnelles ». La logique présidentielle ? « Un système de rémunération qui récompense mieux le privé qui participe à la continuité des soins sur les territoires, et qui soit moins généreux avec ceux qui n'y participent pas ».
Généraliser le SAS
Aussi, il souhaite accélérer la généralisation du service d’accès aux soins (SAS) et « mieux rémunérer les médecins qui y participent ». Emmanuel Macron compte sur l’engagement de tous, y compris les cliniques. « Des travaux ont été engagés avec François Braun pour que les cliniques puissent participer aux permanences de soins au même niveau que les hôpitaux », rappelle-t-il.
S’il ne s’est pas exprimé directement sur la grève des libéraux – et une éventuelle revalorisation du C – le président a affirmé, lors de sa visite matinale, « entendre » les demandes des libéraux « qui ont leur part de légitimité ».
Plus fort, plus vite sur les délégations !
Emmanuel Macron ambitionne d'aller « plus vite et plus fort » sur les transferts de compétences. « Les Français devront avoir recours à d’autres professionnels (que les médecins) pour renouveler leurs ordonnances pour des maladies chroniques, pour le dépistage », imagine-t-il. Selon le président, « beaucoup de généralistes devraient déléguer deux ou trois ordonnances par an à l’infirmier référent ou au pharmacien référent », pense-t-il, tout en exhortant à ce qu’il n’y ait « pas de conflit entre les professions ». Il veut croire que le dialogue avec les paramédicaux permettra au médecin de trouver « la bonne fréquence ». « S'ils sont malins, ils délèguent les actes aux paramédicaux, les actes qui ont le moins de valeur », a-t-il même avancé.
Une équipe traitante pour tous les patients en ALD
Pour le chef de l'État, « le médecin traitant doit être la porte d’entrée mais pas le verrou de notre système. D’ici à la fin de l’année, 600 000 patients en affection de longue durée se verront proposer un médecin traitant ou plus exactement une équipe de référence », a-t-il promis.
Autres gains de temps envisagés par le président : mettre fin aux certificats « inutiles », mais aussi déverrouiller davantage la téléconsultation en supprimant le seuil de 20 % d’activité à distance, « pas une bonne idée » tranche Emmanuel Macron.
Haro sur les patients abusifs
Enfin, le chef de l’État a lancé une charge contre certains patients « qui gaspillent le temps médical par désinvolture », citant la multiplication des rendez-vous non honorés ou les recours « abusifs » aux urgences. « On doit mettre fin à un système où le respect n'a plus cours parce qu’on ne paye pas », lance-t-il. Une réflexion sera donc menée avec l’Assurance-maladie pour « responsabiliser les patients », annonce le président.
« Je suis au côté de l’hôpital, nous avons besoin de vous », a conclu Emmanuel Macron, conscient que ces annonces vont « changer beaucoup d'habitudes ». Une équipe dédiée à ces chantiers sera mise en place au ministère de la Santé.
Quelques heures avant ses vœux, le président a échangé dans la matinée, pendant près de deux heures, avec les soignants du Centre Hospitalier Sud Francilien. « On vous attend comme le Messie ! », a lancé l’un d'eux en direction d’Emmanuel Macron. « Dites-moi ce qui ne va pas », a insisté Emmanuel Macron à plusieurs reprises. Infirmiers, médecins, internes ou personnels administratifs : tous ont fait part au chef de l’État des maux de l’hôpital public, de leur épuisement, du déficit de moyens ou du manque de lits d’aval.
Alors qu’à Corbeil-Essonnes, 110 postes de soignants sont vacants, « on a l’impression de ne plus être capables de travailler avec la qualité qu’on voudrait apporter au patient », explique l’un d’eux au président. « Nos salaires n’ont pas été revalorisés depuis des années, le Ségur est arrivé trop tard », témoigne Cécile, secrétaire médicale en réanimation néonatale, à la sortie de sa rencontre avec le président. Un échange avec le chef de l'État qu'elle a trouvé « positif », « à l’écoute ». Pauline, interne au CHSF se dit, elle, « épuisée ». « Nous sommes en détresse psychologique, on a peur, on se sent impuissant », a-t-elle réagi. Quelques minutes avant les annonces du président l’interne espérait « un décompte horaire du temps de travail à l’hôpital, et une revalorisation pérenne des salaires et des gardes ».
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