C'est une fiction choc destinée à alerter et à prévenir le suicide des professionnels de santé. Réalisée par Marc Gibaja, réalisateur et scénariste français, la séquence d'une minute met en scène trois professionnels de santé autour d’une patiente (le clip peut être visionné en ligne ici). Au cours d’une banale scène de consultation autour d'une patiente âgée, médecin, infirmier et aide soignant finissent par exprimer leur mal-être et passent à l’acte (par arme à feu, pendaison et défenestration). « Le suicide est un sujet tabou, on veut montrer que cela s'est installé dans le monde des soignants, souligne le Dr Éric Henry, médecin généraliste et président de l'association de Soins aux professionnels de santé (SPS), très mobilisée sur ce sujet. Le but du film est qu'il soit impactant et viral pour une prise de conscience de la population sur la souffrance des soignants ».
Trois suicides tous les deux jours
Si, chaque année en France, plus de 9 000 personnes mettent fin à leurs jours, quelle est la situation chez les professionnels de la santé ? Selon Catherine Cornibert, directrice générale de SPS, si l’on applique une règle simple de proportionnalité, cela donne le chiffre « énorme, démesuré de trois professionnels de la santé qui se suicident tous les deux jours », taux mentionné dans le film. « Un chiffre encore probablement sous-estimé, la prévalence du suicide, chez les médecins notamment, étant deux fois plus élevée que dans la population générale », souligne l'association.
Son enquête de 2017 intitulée « Suicide et professionnels de santé » montrait que 25 % des personnes interrogées avaient déjà eu des « idées suicidaires au cours de leur carrière professionnelle ». Parmi eux, 25 % exerçaient en ville et 39 % en milieu rural.
Une autre étude menée en 2019 par l'Ordre, les syndicats et le collège national des sages-femmes a démontré que 31 % de ces professionnelles étaient affectées par le burn-out. « Deux suicides de sages-femmes ont été portés à ma connaissance ces deux derniers mois », témoigne Christine Chalut-Morin, sage-femme clinicienne, secrétaire générale adjointe de SPS.
Les jeunes pas épargnés
En 2021, l’Intersyndicale nationale des internes (Isni) avait alerté de son côté sur la santé mentale dégradée des futurs médecins. Le taux de suicide chez les internes était en effet évalué à un tous les 18 jours.
Plus récemment, en juin 2022, l'étude Amadeus (améliorer l’adaptation à l’emploi pour limiter la souffrance des soignants) a révélé que 50 et 60 % des professionnels de la santé interrogés présentaient des signes d'épuisement professionnel et 30 % de dépression. « Un interne en médecine a trois fois plus de risque de mourir par suicide qu'un jeune Français du même âge, je trouve cela terrible ! Ces jeunes qui s'engagent dans les soins où ils vont donner une grosse partie d'eux-mêmes, ce n'est pas normal qu'ils soient autant en souffrance », se désole la Dr Magali Briane, psychiatre addictologue à Lyon et vice-présidente de SPS.
100 % d'appels décrochés
Certes, un numéro national de prévention du suicide – le 3114 – a été lancé en septembre dernier, s'adressant aux personnes en détresse, à leur famille mais également aux professionnels de santé en contact avec des personnes en danger. Mais, selon SPS, en huit mois, cette plateforme a enregistré 92 000 appels avec « un taux de réponse de 72,3 % »…
Bien loin des « 100 % appels décrochés » de l'association SPS, revendique le Dr Éric Henry. Son numéro vert (0 805 23 23 36), mis en place depuis six ans, a reçu plus de 18 000 appels, dont près de 14 000 depuis la crise sanitaire. Près de 50 % des appels ont fait l’objet d’une réorientation, notamment vers un psychologue en face-à-face (20 %), le médecin traitant (10 %), le psychiatre (8 %) ou d’autres réseaux (Morphée, médecine du travail, médecine universitaire, associations, service social). Les appels de niveaux 3 à 5 – « épuisement professionnel », « idéations suicidaires » et « risque de passage à l’acte imminent » – sont systématiquement réorientés vers un médecin généraliste et un psychiatre ».
Par cette comparaison, l'association SPS entend démontrer à nouveau l'intérêt d'une plateforme d'écoute, d'orientation et d'accompagnement ciblée pour les soignants. « En tout cas, le film est un prétexte pour déclencher des réactions, insiste le Dr Henry. Est-ce qu'il faut que tous les soignants quittent l'hôpital, leur métier pour que cela bouge vraiment ? Le ministère va-t-il enfin bouger ? ». L'association espère pouvoir nouer prochainement un partenariat avec le numéro national 3114.
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