Décès de Marthe Gautier, co-découvreuse de la trisomie 21, ou quand les femmes scientifiques sont oubliées de l'histoire

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Publié le 04/05/2022

Crédit photo : DR

Marthe Gautier, médecin française co-découvreuse du chromosome surnuméraire responsable de la trisomie 21, est décédée samedi 30 avril à l'âge de 96 ans. Comme nombre de femmes dans les domaines de la science et de la médecine, son nom a longtemps été oublié, contrairement à ceux de ses collègues masculins, les Prs Jérôme Lejeune et Raymond Turpin. C'est seulement à partir des années 2010 que son rôle a été pleinement reconnu.

Alors que Marthe Gautier se destine à la pédiatrie, elle rejoint dans les années 1950 l'équipe de Raymond Turpin, chercheur qui étudie le syndrome de Down, caractérisé par un retard mental et des anomalies morphologiques. Partisan de l'hypothèse d’une origine chromosomique de ce syndrome, il émet l'idée de faire des cultures cellulaires pour compter le nombre de chromosomes chez les enfants atteints.

Marthe Gautier propose de s'en charger grâce aux techniques qu'elle a pratiquées lors d'une précédente formation aux États-Unis et qu'elle maîtrise parfaitement. Elle va ainsi participer de manière capitale à la mise en évidence d’un chromosome surnuméraire : c'est la découverte de la trisomie 21. Par la suite, la scientifique regrettera avoir été mise à l'écart de sa propre découverte au profit du généticien Jérôme Lejeune, décédé en 1994.

Reléguée à la deuxième place

Marthe Gautier déclarait en 2009 auprès du magazine « La Recherche » avoir mis en évidence la présence d'un nombre trop élevé de chromosomes chez les personnes atteintes de ce syndrome, alors que le Pr Lejeune, lui, avait précisément identifié le chromosome impliqué.

Quand les résultats de l'équipe française ont été annoncés en 1959 dans le compte rendu de l'Académie des sciences, le nom de Marthe Gautier - mal orthographié - n'est mentionné qu'en seconde place. « La place de la découvreuse oubliée, alors que Jérôme Lejeune est le premier auteur », déplorait-elle. Or, dans « la découverte du chromosome surnuméraire, la part de Jérôme Lejeune (...) a peu de chance d’avoir été prépondérante », estimait en 2014 un comité d'éthique de l'Inserm.

La part du généticien « est sans doute très significative dans la mise en valeur de la découverte au plan international, ce qui est différent de la découverte elle-même, ajoutait le comité. Cette valorisation ne peut exister sans la première étape et lui demeure indissociablement subordonnée ».

À la fin des années 1950, la médecin s'est consacrée à la cardiologie infantile. En 1966, elle a créé le département d'anatomo-pathologie des maladies hépatiques de l’enfant, à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre. Elle a étudié tout au long de sa vie professionnelle différentes anomalies congénitales chez les nourrissons et les enfants.

L'effet Matilda

À l'instar de Marthe Gautier, de nombreuses femmes scientifiques ont vu leur contribution à la recherche minimisée, voire niée. Parmi les cas les plus connus, on peut citer Rosalind Franklin, chimiste britannique qui, la première, identifia la structure en double hélice de l'ADN. En octobre 1962, le prix Nobel de médecine est pourtant attribué à trois hommes pour cette découverte.

Cet évincement de la contribution des femmes scientifiques à la recherche a été théorisé au début des années 1990 par l'historienne des sciences Margaret Rossiter. Elle a en fait approfondi la théorie du sociologue Robert King Merton, selon laquelle certains grands personnages sont reconnus au détriment de leurs proches qui, souvent, ont participé à leurs recherches. Un concept appelé « effet Mathieu » en référence à un verset de l'Évangile.

Margaret Rossiter constate que cet effet est démultiplié quand il s'applique aux femmes scientifiques. Elle donne alors à ce concept le nom d'« effet Matilda » en hommage à la militante féministe Matilda Joslyn Gage qui, dès la fin du XIXe siècle, avait dénoncé l'invisibilisation des femmes dans les sciences.

« Au XIXe siècle, les femmes en Europe sont quasiment exclues du monde des sciences au nom de leur soi-disant infériorité naturelle », explique à l'AFP Louis-Pascal Jacquemond, historien spécialiste de l'histoire des femmes et des sciences. Si elles sont sœurs, mères, femmes ou filles de scientifiques, elles peuvent participer à leurs côtés aux avancées de la discipline, mais leur rôle est minimisé, comme celui de l'épouse d'Albert Einstein, la physicienne Mileva Marić. Même Marie Curie voit son nom presque systématiquement accolé à celui de son époux.

Lutter contre les stéréotypes

Natalie Pigeard-Micault, historienne spécialiste de l'histoire des femmes en sciences et en médecine, remarque d'ailleurs que cette dernière est toujours présentée comme « exceptionnelle », ce qui laisse entendre qu'une femme doit « être un génie » pour réussir dans les sciences.

C'est pour lutter contre ces stéréotypes que l'association Georgette Sand, qui aspire à une meilleure visibilité des femmes dans l'espace public, organise de nombreux ateliers dans les collèges et les lycées sur ces questions. « Aujourd'hui, les femmes en filières scientifiques sont très bonnes élèves mais n'ont pas la gnaque, on ne leur apprend pas à lutter contre l'invisibilisation, à se défendre quand quelqu'un s'accapare leur travail », déplore à l'AFP Ophélie Latil, fondatrice de l'association.


Source : lequotidiendumedecin.fr