Entretien

Dr Fabienne Caby : « La PrEP n’a de sens que si on l’applique dans une population très ciblée »

Publié le 03/12/2015
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LE QUOTIDIEN : À qui va s’adresser la PrEP en pratique quotidienne?

Dr FABIENNE CABY : La PrEP n’a de sens en terme de bénéfice-risque que si elle est utilisée dans une population très ciblée, considérée « à très haut risque ». Il va falloir éviter de tomber dans la prescription « à tout va », en s’appuyant sur les études et sur les recommandations, pour définir un cadre de prescription le plus raisonable et homogène possible. Il ne faut pas oublier que dans la population ciblée, la séroprévalence du VIH est énorme! On atteint les chiffres des pays d’Afrique où la prévalence est la plus élevée (jusqu’à 18 %, ndlr). C’est cette population qu’on va traiter, et pas les personnes en couple stable, même homosexuelles, ou les partenaires des patients ayant un virus contrôlé. Après, il y aura toujours du « cas par cas », pour les usagers de drogues, ou les situations de prostitution par exemple. Mais c’est important de véhiculer le message que la PrEP est une stratégie ciblée, qui ne concerne qu’une population très spécifique. C’est important pour rassurer ceux dans la population ou parmi les soignants qui seraient inquiets de la mise en place de cette pratique.

Comment voyez vous la mise en place de la PrEP dans les services, en terme d’organisation ?

À court terme, le projet est de prendre en charge la PrEP dans les centres dédiés, dont les services de Maladies Infectieuses volontaires et les CeGIDD (Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic des IST). La PrEP est une stratégie à part entière, et pas seulement la prescription d’un médicament. Elle inclut aussi d’autres mesures comme le dépistage et l’éducation sur les IST, qui est primordiale en accompagnement de la prescription. Dans l’idéal, il y aurait aussi une prise en charge spécifique des addictions, que ce soit aux drogues récréatives, ou à des comportements sexuels risqués. Tout ça requiert des équipes pluridisciplinaires et bien formées, pour une prise en charge globale. Ça parait logique que ce soit les centres déstinés à la « santé sexuelle » qui s’en chargent.

Pensez vous que la PrEP soit un outil suffisement efficace pour enrayer l’épidémie de VIH ?

Oui, je pense. Encore une fois, ce n’est qu’un outil parmi d’autres, qui vise une population donnée, où la prévalence de l’infection est énorme. Elle vise à diminuer ce berceau particulier de l’infection VIH.

La condition, c’est que les professionnels jouent le jeu : il va falloir encadrer les patients, et les accompagner dans la démarche. Ça suppose des soignants sensibilisés, et des services qui offrent une prise en charge harmonisée, réfléchie, et de qualité. Une consultation a déja ouvert à l’Hôpital Saint Louis à Paris.

Que pensez vous du risque de relâchement des comportements à long terme, associés pour certains au risque de recrudescence des IST avec la PrEP ?

Il va falloir garder ce risque en tête, et bien surveiller les patients, au plan individuel mais aussi collectif. Cela dit, au plan individuel, je pense que si elle est optimisée la PrEP pourrait permettre de mieux prendre en charge les IST chez ces patients. On n’empêchera jamais certains d’adopter des comportements à risque malgré la prévention. Mais avec la PrEP, on est amené à offrir un meilleur suivi, et une meilleure éducation à cette population, qui jusqu’ici restait plutôt isolée avec ses pratiques à risque. Bien sûr cela dépend aussi de la prise de conscience des gens. Mais on peut espérer que mieux éduqués, ils pourront consulter plus tôt en cas d’IST, et se dépister aussi plus souvent

C’est un point intéressant de la PrEP : la surveillance épidémiologique va permettre de suivre les données dans cette population, et de connaître l’évolution des taux d’IST et des pratiques.

Tout ça, c’est dans un monde idéal, si tout se fait de façon optimale. C’est-à-dire avec un accompagnement de bonne qualité, qui demandera beaucoup de temps aux équipes. Et on peut se poser la question de la difficulté à concilier ces impératifs avec l’ambiance actuelle à l’hôpital qui est plutôt aux restrictions de moyens.

Propos recueillis par le Dr Clélia Delanoë

Source : Le Quotidien du Médecin: 9455