Parvenir à créer des organes fonctionnels pour la greffe à partir de cellules souches, tel est le rêve un peu fou offert par le développement des organoïdes. Si des progrès restent à faire avant d'en arriver là, les applications de ces tissus en 3D sont déjà nombreuses en recherche.
Foie, intestin, cerveau, poumon, cœur… Aujourd'hui, la plupart des organes sont reproduits (au moins partiellement) en laboratoire sous la forme d'organoïdes. Leur capacité à être au plus près de la physiologie concentre beaucoup d'espoirs, notamment dans le domaine de la transplantation. Pour l'heure, ces systèmes pluricellulaires constituent surtout des modèles in vitro précieux en recherche pour comprendre le développement des organes, mimer des maladies et tester des médicaments.
Les organoïdes sont généralement issus de cellules souches — qu'elles soient d'origine embryonnaire, fœtale, adulte ou qu'il s'agisse de cellules souches pluripotentes induites dites cellules iPS — capables de se différencier en différents types cellulaires dans un milieu de culture approprié et de s'auto-organiser en trois dimensions, afin de reproduire au moins une fonction de l'organe d'origine (contraction, battement de cils…). Malgré les avancées réalisées en une dizaine d'années, certaines fonctions demeurent difficiles à reproduire telles que les capacités de détoxification et d’excrétion biliaire du foie, les échanges en oxygène pour le poumon ou encore la motricité péristaltique pour l'intestin.
Identifier de nouvelles molécules
Les organoïdes peuvent être maintenus en culture pendant plusieurs semaines. Et s'ils ont la complexité d'un épithélium, « toutes les techniques d'analyse classiquement utilisées en culture cellulaire peuvent être appliquées et adaptées à ces modèles 3D », indique Céline Cougoule, chercheuse à l'Institut de pharmacologie et de biologie structurale de Toulouse (IPBS-Toulouse).
Les applications en recherche qui découlent de ces organoïdes sont multiples : biologie du développement, étude des mécanismes inflammatoires, étude d’infections par différents types de pathogènes, médecine personnalisée, étude des maladies génétiques, mais aussi évaluation de la toxicité et de l’efficacité des médicaments…
« Les organoïdes représentent aussi des modèles précliniques pertinents pour identifier des molécules d'intérêt, poursuit Céline Cougoule. C'est exactement ce que l'on propose dans le cas du Covid-19 avec des modèles pulmonaires et intestinaux » (cf. article Modèles hépatiques : de la toxicité médicamenteuse à la greffe, de nombreux espoirs). Pour Nathalie Vergnolle, directrice de l’Institut de recherche en santé digestive de Toulouse, « l'avantage du modèle organoïde est d'être beaucoup plus complexe et plus proche de la réalité des tissus des patients que les modèles de lignées cellulaires utilisées pour le criblage de molécules ».
Il existe aussi des structures proches des organoïdes, mais ne répondant pas à tous les critères. John De Vos et son équipe du service Ingénierie cellulaire et tissulaire du CHU de Montpellier travaillent sur des structures épithéliales pulmonaires en deux dimensions à l'interface avec l'air. Il existe aussi des structures en 3D dérivées à partir des cellules tumorales. « Ces tumoroïdes permettent notamment d'évaluer l'efficacité d'une molécule d'intérêt directement sur la tumeur d'un patient et ont également contribué à caractériser des voies importantes du processus tumoral », avance Céline Cougoule.
De par ces diverses applications, les organoïdes pourraient à terme contribuer à réduire l'expérimentation animale, mais ils ne pourront pas la remplacer totalement. Les deux approches seront sans doute complémentaires. « Nous n'arriverons jamais à remplacer complètement le modèle animal par un organoïde, car un modèle animal est un organisme dans son ensemble qui permet d'évaluer la toxicité hépatique, rénale, cardiaque, etc., mais aussi celle qui résulte d’interactions entre les organes », souligne Anne Dubart-Kupperschmitt, directrice de recherche INSERM (U1193 : physiopathologie et thérapeutique des maladies du foie).
L'espoir de la greffe
Les organoïdes suscitent aussi l'espoir de la régénération tissulaire et de la greffe d'organes. « Aujourd'hui, nous sommes capables de le faire d'un point de vue expérimental dans des modèles animaux, mais nous ne sommes pas encore passés à l'homme, précise Nathalie Vergnolle. Cela fait partie des grands espoirs des organoïdes ».
Pour le Pr Jean-Charles Duclos-Vallée, hépatologue au centre hépatobiliaire de l'hôpital Paul Brousse de Villejuif et coordinateur scientifique de l’Institut français de biofabrication (ifbf-institute.org) : « Nous serons sans doute capables de reproduire à l'identique les fonctions d'un tissu, mais le plus difficile sera de faire en sorte que l'organoïde implanté soit capable de vivre comme l'organe natif, en étant soumis à diverses perturbations physiologiques ».
La vascularisation
En effet, une des principales limites des organoïdes à l'heure actuelle porte sur leur communication avec l'extérieur. Les chercheurs réalisent d'ores et déjà des cocultures avec d'autres types cellulaires (cellules vasculaires, nerveuses, immunitaires endothéliales, musculaires…). « Une autre piste explorée est d'intégrer aux organoïdes le microbiome naturel de l’organe d'origine afin de mimer au mieux son fonctionnement et étudier sa réponse aux infections », indique Fabienne Archer, directrice de l'unité Infections virales et pathologie comparée à Lyon.
L'obstacle crucial à dépasser reste la vascularisation. « Plus nous allons vouloir produire des organoïdes pertinents, plus il va falloir se pencher sur cette question pour apporter les nutriments et l'oxygène au cœur de l'organoïde, et évacuer les éventuels déchets métaboliques », explique Anne Dubart-Kupperschmitt. Et pour John De Vos, « reproduire une vascularisation active avec du sang oxygéné reste encore difficile ».
Parmi les solutions envisagées, l'implantation d'un organoïde dans un animal immunodéprimé permettrait de lui faire bénéficier de son système vasculaire. Des organes sur puce se développent également : « nous sommes désormais capables d'installer plusieurs organoïdes dans des systèmes microfluidisés avec un renouvellement constant du milieu », détaille Anne Dubart-Kupperschmitt. Ces systèmes très miniaturisés — de la taille d'une lame de microscope — pourraient notamment être utiles pour évaluer la toxicité des médicaments.