Pr Bernard Charpentier Président de l'Académie nationale de médecine

Pr Bernard Charpentier (Académie de médecine) : « Aujourd'hui, il nous faut recruter des biologistes, des vétérinaires, des physiciens… »

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Publié le 22/10/2021
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Juste avant l’interview, le Pr Bernard Charpentier sortait d’une audition parlementaire sur l’actualité vaccinale réunissant les deux Académies de médecine et des sciences. Quel meilleur moment pour évoquer le rôle de « vigie » de la puissance publique de l’Académie, alors qu’elle célèbre son bicentenaire* avec un an de décalage, Covid oblige.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Lors de sa création en 1820, l’Académie de médecine avait pour mission « de faire progresser l’art de guérir et de conseiller le gouvernement » selon le texte signé par Louis XVIII. Deux siècles plus tard, comment définir le rôle de l’institution en 2021 ?

Pr BERNARD CHARPENTIER : Depuis 1820, nous essayons toujours de faire progresser au mieux l’art de guérir et de conseiller les gouvernements. Maintenant, on peut se demander quel doit être le rôle de l’Académie. Nous avons procédé à une autoévaluation que nous publierons l’année prochaine pour mesurer nos forces et nos faiblesses. Il en ressort que nous sommes une agence de santé publique dont la qualité fondamentale est l’indépendance : quand on est membre élu à vie, et non « virable » tous les mercredis matin en conseil des ministres comme n’importe quel membre d’une agence classique, nous avons le loisir de dire tout haut ce que les hommes politiques pensent tous bas.

Vous savez, il existe 1 245 agences en France, certaines tenant dans une cabine téléphonique, dont 12 dans le domaine de la santé. Au milieu de tout cela, nous jouons un peu le rôle de « vigie », comme l’a rappelé le ministre Olivier Véran dans un discours.

Nous sommes 528 académiciens représentant toutes les disciplines, nous avons donc en permanence cinq ou six spécialistes de n’importe quel sujet. Nous ne pouvons pas rivaliser avec les sociétés savantes sur les champs d’expertise, mais nous sommes transdisciplinaires.

L’épidémie de Covid a-t-elle été un électrochoc pour l’Académie ? Depuis deux ans, vous multipliez les communications.

C’est un événement extrêmement violent qui nous a tous affectés. Notre première réaction a été de monter des groupes de travail, des petites « task forces » constituées de spécialistes reconnus en virologie ou en infectiologie, chargées de thématiser les choses. Notre but était d’accélérer la vitesse de publication de nos avis et communiqués : nous en avons écrit 135 depuis le début de la pandémie.

En temps normal, nous publions des rapports de dizaines de pages qui demandent un an de travail. Les communiqués et les avis brefs nous ont permis de traiter les problèmes au fur et à mesure qu’ils se présentaient : les autotests, l’obligation vaccinale, la détection du SARS-CoV-2 dans les eaux usées, etc.

Dans certains de ces communiqués, nous avons pris des positions très tranchées, comme lorsque nous avons suggéré la vaccination obligatoire pour tous les patients de 5 à 78 ans. Quelques jours avant que M. Macron ne prenne sa décision très courageuse sur le pass sanitaire, nous avions publié un avis favorable à cette mesure.

Quels seront les changements durables que cette épreuve va imprimer sur le fonctionnement de l’Académie ?

Nous allons poursuivre la diversification des profils des académiciens. Les vétérinaires nous avaient prévenus depuis longtemps que la déforestation et la surpopulation mondiale allaient un jour générer une épidémie de ce genre. Je pense qu’il n’est plus possible de séparer les biologies humaine, animale et végétale. Il n’y a qu’une seule santé environnementale. Des biologistes, comme Gilles Bœuf, un spécialiste du biomimétisme, nous expliquent bien que la nutrition, l’environnement, l’évolution et les maladies sont liés. Aujourd’hui, un raisonnement médical nécessite une transversalité.

Nous avons déjà quelques très grands membres libres qui ne sont ni médecins ni pharmaciens ni vétérinaires. Nous pouvons citer Renaud Denoix de Saint Marc qui était autrefois au Conseil d’État et au Conseil constitutionnel, Antoine Durrleman qui était à la Cour des comptes. Il nous faut aussi des spécialistes de la biologie végétale, des vétérinaires spécialistes des animaux sauvages ou même des physiciens et des mathématiciens. N’oublions pas que l’échographie nous vient des mathématiciens et l’IRM des physiciens.

L’épidémie a aussi vu apparaître au grand jour le phénomène des fake news et du populisme médical. Comment l’avez-vous vécu à l’Académie ?

J'ai personnellement été confronté à une violence sociétale que j’ai du mal à bien comprendre. Je pense qu’il est important qu’un académicien, le sociologue Gérald Bronner, ait été mis à la tête du comité fake news par le président de la République.

Au-delà des médias qui font circuler de fausses informations parfois dans des buts idéologiques, les moyens de communication modernes et le consumérisme médical ont changé ce qui se passe dans le box de consultation : c’est devenu un colloque à trois entre le patient, l’ordinateur et le médecin qui doit lutter contre cette masse de données glanées sur internet.

Le problème d’une fake news, c’est que l’on ne peut pas aller plus vite qu’elle. Ce que nous pouvons faire, c’est rappeler la réalité de la Science, nous appuyer sur les médias nationaux et internationaux. En tant qu’académiciens, nous ne sommes pas très bons pour expliquer au grand public et nous avons donc besoin de relais capables de mieux expliquer.

Certaines des anciennes tâches de l’Académie sont maintenant confiées à la Haute Autorité de santé (HAS), au Conseil de l’Ordre, à l’Agence des médicaments ou encore à l’Anses. Quel est votre rôle vis-à-vis de ces institutions ?

Nous ne sommes pas orthogonaux avec les agences : il est inutile d’enfermer chacun dans son bunker. La HAS fonctionne au consensus, ce qui demande beaucoup de temps. L’Académie est en réactivité totale avec ces agences et, en même temps, notre indépendance nous donne beaucoup plus de liberté de parole que les agences.

Nos saisines peuvent venir du Sénat, d’un ministère ou du gouvernement, mais nous faisons aussi beaucoup d’autosaisines, là ou les agences font plus de l’exosaisine.

Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, l’Académie a été le siège de joutes scientifiques terribles. La polémique a-t-elle toujours lieu dans les murs de l’Académie ?

Quand on a découvert les causes de la fièvre purpurale chez l’enfant, à la suite des travaux de Semmelweis, il y a eu, entre janvier et juillet 1858, 17 séances de débats acharnés sur la question de l’hygiène des mains. Nous avons gardé une lettre du rapporteur de la commission qui expliquait au secrétaire perpétuel de l’Académie de médecine qu’il n’était pas en mesure de produire un rapport, vu la violence des échanges. Les gens ne croyaient tellement pas à cette explication qu’on a préféré faire arrêter les clochettes du sacristain de l’Hôtel-Dieu car on pensait que c’était ça qui causait la maladie. C’est uniquement parce qu’Adolphe Pinard a appliqué le principe de lavage des mains dans son établissement d’une part et que Pasteur a découvert le substrat biologique de l’infection d’autre part que le débat a fini par être tranché.

Nous n’avons plus ce genre d’empoignade, mais il est très important que notre enceinte reste un lieu de débats : quand il y a une présentation le mardi, il y a toujours 15 minutes de débat soit deux fois plus que le temps de présentation. Pour être académicien, il faut venir défendre ses travaux lors d’un examen oral devant une assemblée qui va durement les critiquer. Quand on sait répondre à cela, alors on sait ajouter au débat et l’on mérite d’être admis.

La fondation de l’Académie de médecine va-t-elle poursuivre sa politique de coopération avec ses homologues des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ?

Le Covid a tout bloqué, mais nous allons reprendre dès que possible les congrès communs avec ces pays. La Chine et le Mexique ont les mêmes problèmes que nous : pandémies virales, obésité, Alzheimer… La médecine française, hippocratique et dénuée d’intérêt financier, peut apporter quelque chose.

*La célébration du bicentenaire de l'Académie de médecine a eu lieu le 18 octobre à Paris avec pour thème « Confiance et défiance dans la science »

Propos recueillis par Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin