Alzheimer et conduite automobile : évaluer les facultés restantes

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Publié le 14/04/2023
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Un arrêté listant les affections médicales incompatibles avec la conduite automobile a fait grand bruit en gériatrie pour ce qui concerne la maladie d'Alzheimer. L'incompréhension a été si forte qu'un an après sa publication, la Société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG) consacre ses printanières à la conduite après 80 ans.

Crédit photo : Burger/Phanie

L'arrêté du 28 mars 2022, très contesté par la Société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG) mais aussi la Fédération des centres mémoire et les associations de patients, établit « une incompatibilité définitive à la conduite pour les patients souffrant d'une maladie d'Alzheimer ou apparentée (MA2) dès le stade 3 de l'échelle de Reisberg ».

« On ne peut pas réduire une décision si importante à un score et encore moins quand ce score, en l’occurrence l’échelle de Reisberg, n’est plus utilisé en gériatrie depuis 20 ans pour mesurer quoi que ce soit ! », s’indigne la Pr Nathalie Salles, médecin gériatre au CHU de Bordeaux et présidente de la SFGG. Au-delà d'un score, quel qu'il soit, les gériatres plaident pour une évaluation personnalisée et interdisciplinaire.

Si la conduite automobile peut devenir problématique avec l'âge et a fortiori en cas de maladies neurodégénératives, il faut « éviter l'âgisme et l'arrêt injustifié », plaide la Dr Sylvie Bonin-Guillaume, gériatre à Marseille et présidente du comité scientifique de la SFGG. Le maintien de la conduite est un facteur d'autonomie (rapport Aquino de 2013), quand inversement l'arrêt est associé « à une surmortalité à cinq ans de +68 % toutes causes confondues, à un risque multiplié par 4-5 d'entrée en Ehpad et un risque doublé de dépression », liste-t-elle. Les accidents sont davantage liés à des oublis (défaut d'attention) qu'à des infractions.

Oser poser la question

Quel est le rôle du médecin ? D'abord de repérer en posant la question « est-ce que vous conduisez encore ? », mais aussi en s'enquérant du sommeil, de la prise d'alcool ou de médicaments (psychotropes et benzodiazépines en particulier). « Les professionnels de santé doivent faire connaître à l'entourage la possibilité d'adresser un courrier au préfet qui ordonnera l'avis d'un médecin agréé », indique le Dr Philippe Lauwick, médecin agréé à Roubaix, rappelant que « 80 % de ceux qui arrêtent de conduire le font de leur propre chef malgré l'attachement au permis de conduire ».

La visite d'aptitude n'est ni obligatoire (« il n'y a d'ailleurs aucun bénéfice en termes de sécurité routière dans les pays où elle l'est », rapporte le Dr Lauwick), ni sanctionnante. L'évaluation pluridisciplinaire préalable est nécessaire, car sans elle le médecin agréé ne peut rendre un avis en 15 minutes. Pour le Dr Lauwick, il faut « développer une culture de promotion des aptitudes restantes, par exemple en limitant le périmètre de conduite ou en interdisant de conduire la nuit » et, dans le même temps, anticiper l'arrêt de la conduite, par des visites régulières en cas de trouble neurodégénératif.

Une fiche pour les médecins de spécialité

Lors de la publication de l'arrêté, la Pr Maria Soto, gériatre au CHU de Montpellier, rapporte la grande surprise du groupe de travail conduite automobile et troubles cognitifs constitué à la demande de la délégation de la sécurité routière. « Les réunions venaient de commencer début 2022, se souvient-elle. Devions-nous arrêter ? La Fédération des centres mémoire n'avait pas été consultée pour cet arrêté, qui ne fait aucune place pour l'évaluation personnalisée. Quid des patients au stade de trouble neurocognitif mineur ? Quid des patients au stade de trouble neurocognitif majeur à un stade léger ? ».

L'équipe s'est attelée à élaborer une fiche « juste et faisable » à remplir par le professionnel de spécialité (neurologue, gériatre). Le patient peut la montrer à son généraliste et au médecin agréé. L'avis qui en résulte n'est pas voué à donner une inaptitude systématique, mais « peut donner des conseils pour une conduite la plus sécure possible », explique la Pr Soto. Cela peut aussi être une prise de conscience de l'inaptitude. Ce n'est pas non plus un avis d'aptitude mais bien « l'évaluation d'un risque en lien avec la maladie neurodégénérative, les troubles neurologiques associés et les médicaments », en particulier les neuroleptiques injectables et les benzodiazépines.

Test Moca par le médecin agréé

Des questionnaires sont distribués en salle d'attente ou après la consultation : un pour l'aidant, un deuxième pour le patient. Les items sont des clignotants sur des situations d'alerte : avez-vous peur quand il/elle conduit ? Avez-vous modifié la vitesse ? Dans quelle situation conduisez-vous ?

Les tests Moca et de l'horloge sont utilisés comme clignotants pour le repérage, mais « aucun test ne permet à lui seul d'être un indicateur de conduite dangereuse », abonde Laurence Paire-Ficout, chercheuse en neuropsychologie à Lyon.

Au stade léger de maladie d'Alzheimer, si le médecin agréé a la confirmation du bilan mémoire avec test de conduite favorable, il peut donner une aptitude avec des aménagements (périmètre, temps, présence d'un aidant). En cas de test de conduite défavorable, il prononce une inaptitude.

En l'absence de test de bilan mémoire mais avec des clignotants et un examen normal, le médecin agréé fait le Moca. S'il est normal, l'aptitude est limitée dans le temps et une évaluation multidisciplinaire est conseillée avant la fin de la période d'aptitude. Si le test est perturbé, l'inaptitude est prononcée dans l'attente d'un bilan pluridisciplinaire.

Test de l'horloge en médecine générale

Pour les médecins généralistes, le test GP-Cog est recommandé par la Haute Autorité de santé pour le dépistage des troubles neurocognitifs. Un test de l'horloge peut aussi être réalisé. S'il est normal (7/7) et que les réponses du questionnaire sur la conduite du patient sont toutes négatives, alors une consultation est recommandée en centre mémoire ou spécialisé mais sans consigne particulière quant à la conduite automobile.

Si le test de l'horloge est de 5 ou 6 ou qu'il y a au moins un oui au questionnaire, le patient doit être adressé en centre mémoire et la conduite est déconseillée en attendant l'avis du médecin agréé. Enfin, si le test de l'horloge est de 4/7, un bilan en centre mémoire est recommandé et la conduite déconseillée. Un avis du médecin agréé reste possible si le patient ou la famille le souhaite

La publication du consensus est prévue sous peu. Le groupe de travail espère que ses recommandations et ses algorithmes convaincront la délégation de la sécurité routière afin d'infléchir le caractère d'application de l'arrêté et permettre une conduite aménagée après évaluation.

Dr I. D.

Source : Le Quotidien du médecin