Informer et dépister les populations aux Antilles

Comment sortir de la pollution au chlordécone

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Publié le 05/12/2019
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Dans son rapport, la Commission d'enquête relative à la pollution au chlordécone propose des mesures concrètes de réparation des préjudices. Sur le plan sanitaire, elle recommande notamment de mieux suivre les personnes les plus exposées à cet insecticide.

Crédit photo : AFP

Après 6 mois d'auditions, la Commission d'enquête parlementaire relative à la pollution au chlordécone a rendu public son rapport lundi 2 décembre. En plus d'attester de la responsabilité de l'État dans ce scandale sanitaire et environnemental, la Commission propose quelque 49 recommandations portant sur « les actions en réparations qu’il convient de mettre en œuvre pour sortir de cette pollution ». Plusieurs propositions visent à protéger les populations des risques sanitaires.

Le chlordécone a été utilisé massivement dans les bananeraies en Guadeloupe et en Martinique entre 1972 et 1993, en raison de son efficacité contre les charançons. Pourtant, « dès les années 1960, son caractère persistant dans les sols et toxique pour l'homme était connu des autorités », a déploré Justine Benin, députée MoDem de Guadeloupe et rapporteuse de la Commission d'enquête, lors d'un point presse. L'insecticide n'est interdit en France que depuis 1990, et une dérogation a permis en outre son utilisation en Guadeloupe et en Martinique jusqu'en 1993.

Des effets cancérigènes

En plus de se retrouver dans les sols, les eaux et l'alimentation, le chlordécone est aussi détecté dans le sang de plus de 90 % des Martiniquais et des Guadeloupéens selon une étude de Santé publique France, qui montre aussi que 5 % des participants ont un niveau d'imprégnation au moins dix fois supérieur au niveau moyen. « Les personnes les plus exposées sont notamment les anciens travailleurs de la banane et les personnes qui habitent dans les territoires les plus contaminés », précise au « Quotidien » Corentin Masclet, collaborateur parlementaire de Justine Benin.

Les risques sanitaires demeurent mal quantifiés, mais « il est établi que le chlordécone possède des effets cancérigènes, et des impacts sont possibles sur la prématurité et le développement cognitif des nouveau-nés », avance Justine Benin.

Toutefois, « il est aujourd’hui impossible d’établir à partir de quel taux la molécule devient susceptible de créer un risque sanitaire pour l’humain », lit-on dans le rapport.

La Commission recommande de bien définir les catégories de personnes les plus exposées au risque lié au chlordécone afin de leur proposer un dépistage et un suivi sanitaire spécifique pris en charge par l'Assurance-maladie. Actuellement, « nombreux sont les citoyens qui ont recours à des analyses de sang pour tester leur taux de chlordécone, mais ils ne bénéficient d'aucune explication ni de prise en charge », regrette Justine Benin. La Commission appelle à une meilleure formation des médecins généralistes notamment pour qu'ils puissent accompagner les personnes testées.

Programmes en milieu scolaire

Les populations devraient également être mieux informées sur le chlordécone. La Commission propose notamment une journée annuelle dédiée à des actions de sensibilisation dans l’espace public et la mise en place de programmes d'éducation sanitaire en milieu scolaire. « Les enfants sont souvent les meilleurs vecteurs puisqu’ils sont à même de sensibiliser leurs familles sur les enjeux et sur les bonnes pratiques à adopter », note le rapport.

Cette sensibilisation passe en particulier par des messages sur l'alimentation. « Tout ce qui pousse en terre comme les patates douces et les cucurbitacées est sensible au chlordécone, alors que les cultures hors sol comme les tomates ou les bananes n'y sont pas », signale Corentin Masclet, rappelant aussi que les habitants s'alimentent trop souvent via des circuits informels, peu contrôlés.

La Commission souhaite davantage communiquer sur le cancer de la prostate. « Il reste difficile de parler aux populations antillaises de cette pathologie qui touche à la virilité, estime Corentin Masclet. Les efforts de prévention sont à renforcer ».

Une loi pour opérer les changements

Pour opérer les changements préconisés, la Commission souhaite mettre en œuvre une loi de programmation de sortie de chlordécone et de réparation de ses conséquences et la nomination d'un délégué interministériel pour piloter le plan de 2020.

Pour Justine Benin, « l'État a sa part de responsabilité, il en va aujourd'hui de l'exigence de réparation et des projets à mettre en œuvre pour sortir de cette pollution ».

Charlène Catalifaud

Source : Le Quotidien du médecin