Le Sénat favorable à l'inscription dans la Constitution d'une « liberté d'avorter »

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Publié le 02/02/2023

Crédit photo : AFP

« La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ». C'est par l'adoption de cet amendement, porté par le Républicain Philippe Bas, jadis proche collaborateur de Simone Veil, que le Sénat laisse ouverte la porte à la constitutionnalisation de l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Un revirement, après un rejet d'une précédente proposition allant dans le même sens à l'automne dernier, même si le texte voté ce 1er février abandonne la notion de « droit » chère à la gauche.

Au terme d'un débat passionné, ponctué par l'irruption de jeunes militantes aux cris de « protégez l'IVG » lors de l'intervention du sénateur d'extrême droite Stéphane Ravier (Reconquête !), le vote a été acquis par 166 voix pour et 152 contre. Un rejet pur et simple du texte par le Sénat aurait signifié son enterrement.

Réécriture du texte

C'est dans le cadre d'une niche parlementaire réservée au groupe socialiste que les sénateurs ont examiné cette proposition de loi constitutionnelle La France insoumise, votée en novembre en première lecture par l'Assemblée nationale, avec le soutien de la majorité présidentielle.

La proposition de loi était ainsi formulée à l'origine : « La loi garantit l'effectivité et l'égal accès au droit à l'interruption volontaire de grossesse ». Mais elle a été rejetée en commission des lois par les sénateurs au motif qu'« elle ne proposait qu'une solution illusoire aux difficultés concrètes d'accès à l'IVG ». Lors de son passage en séance publique, le texte a été complètement réécrit, via l'amendement du sénateur LR Philippe Bas qui substitue la notion de « liberté » à celle de « droit ».

« Le présent amendement vise à consacrer la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. (...) Il a pour effet d’interdire toute possibilité de suppression par la loi de la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ainsi que toute réforme législative qui aurait pour effet de porter gravement atteinte à cette liberté », est-il expliqué dans l'exposé des motifs. « Il n'y a pas de droit absolu », a souligné Philippe Bas, expliquant que sa formule, qui entend garantir l'équilibre de la loi Veil, « permet au législateur de ne pas abdiquer ses droits en faveur du pouvoir constituant ».

Après le vote, le groupe socialiste s'est immédiatement félicité d'une « avancée majeure pour le droit des femmes », tandis que le groupe écologiste a salué « une victoire historique » et que la cheffe de file du groupe LFI à l'Assemblée nationale, et autrice de la PPL initiale Mathilde Panot, a écrit « Historique » sur Twitter.

À l’inverse, le groupe Les Républicains a très majoritairement voté contre l'amendement Bas, jugé « superfétatoire » par son président Bruno Retailleau. « Le droit à l'IVG n'est pas menacé dans son existence même en France par aucune formation politique », a-t-il martelé. « La Constitution n'est pas faite pour adresser des messages symboliques au monde entier », a-t-il encore ajouté. En toile de fond, figure l'annulation en juin 2022 de l'arrêt « Roe versus Wade » par la Cour suprême des États-Unis.

Un chemin encore long

Le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, avait rappelé dans son propos liminaire la volonté du gouvernement de soutenir « toute initiative parlementaire qui viserait à constitutionnaliser le droit à l'IVG ». Concernant la contre-proposition Bas, il s'en est remis à la « sagesse » du Sénat, relevant « une volonté de parvenir à un compromis », mais faisant part d'« un petit doute » sur son effectivité. En réponse, Philippe Bas lui a reproché de « rester sur le banc de touche » en ne prenant pas l'initiative d'un texte gouvernemental.

Un projet de loi aurait le mérite d'entrer plus facilement dans le marbre de la constitution (par une approbation aux trois cinquièmes des suffrages du Congrès). Car le chemin de la proposition de loi est encore long : elle doit être votée dans les mêmes termes par les deux chambres avant d'être soumise à référendum. « La voie est libre, Mme Borne : à vous de déposer un projet de loi ! », a exhorté toujours sur Twitter Mathilde Panot.

La proposition de loi est soutenue entre autres par la Fédération nationale des Collèges de gynécologie médicale (FNCGM). « En tant que gynécologues, nous pouvons témoigner de ce que disait Simone Veil : " aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes ". Mais ce droit, pour lequel elle s’est tant battue, ne doit en aucun cas être remis en question dans un avenir proche ou lointain, c’est pourquoi nous soutenons cette proposition de loi », souligne Isabelle Héron, présidente de la FNCGM. 


Source : lequotidiendumedecin.fr