L’amendement Lefevre sur le télétravail

Tollé médical contre le travail en arrêt maladie

Publié le 27/05/2009
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« EMPLOI : faciliter le maintien et la création d’emplois », la proposition de loi déposée par Jean-Frédéric Poisson, provoque de vives réactions. L’objet de la polémique, un amendement signé du porte-parole de l’UMP et député des Hauts-de-Seine Frédéric Lefebvre, concerne « le droit accordé aux salariés qui en feraient la demande de maintenir une activité par la voie du télétravail dans certains cas où leur contrat est normalement suspendu » : les congés consécutifs à une maladie ou un accident, le congé de maternité, le congé parental d’éducation ou congé de présence parental. Une réforme qui serait « gagnant-gagnant » : le salarié maintiendrait sa rémunération, au minimum, à nombre d’heures de travail effectué équivalent ; l’employeur pourrait être incité à encourager le passage au télétravail en se voyant offrir une réduction de charges sociales. Et la Caisse d’assurance-maladie n’aurait plus à verser d’indemnités au télétravailleur. La seule condition requise pour bénéficier de ce nouveau droit, comme l’appelle son auteur, consiste en « un avis médical favorable ».

Le porte-parole de l’UMP prend un exemple : « Un ingénieur qui travaille sur un projet et qui se casse la jambe, s’il ne peut pas se rendre au travail pendant quatre mois, peut avoir l’énergie pour faire son job à distance. S’il possède un certificat médical qui dit que son état est compatible avec le télétravail, son entreprise ne pourra pas le remplacer en son absence. » Somme toute, comme le médecin prescripteur de l’arrêt coche (ou ne coche pas) la case « sorties autorisées », il renseignerait également la case « télétravail autorisé ».

Le médecin instrumentalisé.

Vice-présidente (PS) de la commission des Affaires sociales, le Dr Catherine Génisson fustige « un démantèlement des garanties collectives. Après avoir dû renoncer à des remboursements et à acquitter des franchises, les malades salariés devraient maintenant, compte tenu du rapport de subordination employés-employeurs, travailler même lorsqu’ils sont malades. Et le comble, c’est que le médecin traitant serait instrumentalisé pour cautionner cette turpitude sociale. »

Pour le Dr Marc-Alain Rozan, président du SYNGOF (gynécologues-obstétriciens de France), « si des salariés en arrêt veulent travailler depuis leur domicile, c’est leur droit et rien ne les en empêche. En revanche, si leur médecin, après avoir décidé qu’ils sont inaptes, doit apprécier s’ils restent aptes à domicile, il s’expose à un manque de cohérence et surtout à des conséquences médico-légales qui peuvent être sérieuses. »

Les médecins du travail ne sont pas moins circonspects. « Alors que les employeurs continuent de bénéficier de l’impunité face à leurs manquements aux obligations déclaratives de maladies professionnelles, estime le Dr Bernard Salengro, président du Syndicat général des médecins du travail, cette réforme vise à désigner les salariés comme les principaux profiteurs du système d’assurance-maladie. Les salariés atteints d’une dépression sévère ou d’une pathologie invalidante seraient donc désignés comme des coupables. Combien de cadres sous la pression de leur entreprise se verraient ainsi mis en danger ! »

Pour Marie Pezet, docteur en psychologie et responsable d’une consultation souffrance au travail, « ce projet, en bouleversant tous les curseurs, cliniques, déontologiques et juridiques, s’il était appliqué, ne manquerait pas d’augmenter encore le nombre des suicides pour motifs professionnels. Et même si l’amendement n’est pas adopté, il contribue à un processus de grignotage des droits sociaux déjà bien engagé ».

L’Association FNATH (accidentés du travail et handicapés) confirme le sentiment général d’ « une provocation de plus pour les personnes en arrêt maladie, alors que cet arrêt a pour objectif de permettre aux salariés de se reconstruire physiquement et mentalement ».

Le texte de l’amendement pèche en outre par son imprécision. « Il n’indique pas qui, du médecin traitant ou du médecin du travail, serait habilité à émettre l’avis médical favorable », relève le Dr Patrick Fortin, lui-même médecin du travail dans le Var, et qui juge « dangereuse » une expertise qui serait prise seulement par l’un des deux.

Vrai volontariat.

Tel est aussi l’avis du Dr André Deseur, chargé de communication au conseil national de l’Ordre des médecins. « Certes, le principe selon lequel un salarié immobilisé, par exemple dans le plâtre, puisse, s’il le désire et s’il en est capable, continuer à travailler à distance ne semble pas condamnable. En revanche, il est légitime de se préoccuper du cas d’un salarié malade qui ne serait pas en mesure de travailler depuis son domicile et qui se verrait taxé par son employeur de mauvaise volonté, le tri entre celui qui ne veut pas travailler et celui qui ne le peut pas n’allant pas forcément de soi. »

Avant que l’Ordre ait statué sur le sujet, le Dr Deseur estime que « le projet, en l’état actuel de son imprécision comporte des aspects socialement périlleux. Il convient de construire des modalités de mise en place d’un vrai volontariat des salariés malades. Cela passe par des négociations entre associations d’usagers, représentants des médecins du travail, caisse d’assurance-maladie et Ordre des médecins. »

 CHRISTIAN DELAHAYE

Source : lequotidiendumedecin.fr