« Socrate à St-Tropez», d'Alain Soral

Chroniques de l'humeur ordinaire

Publié le 07/04/2003
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Idées

C'est sûr, Soral est mordant, il vise parfois très juste, il fait rire sur le plan de l'observation quotidienne de nos mœurs.

Ainsi à propos des « pipoles », il note qu'ils sont « pareils... en pire » que les gens ordinaires, il observe que « plus Catherine Deneuve refuse de vieillir, plus elle ressemble à sa fille ». Au chapitre « Dandy » on peut lire qu' « on reconnaît un imbécile à ce qu'il n'évite aucun piège du bon goût ». Enfin, on aura du mal à le contredire lorsqu'il signale : « Je n'ai jamais vu autant de gens fumer à table, nuire en bons jean-foutre au bien-être de l'autre et polluer l'air que dans les petits restaurants branchés... »
Parfois, le propos est plus court ; n'est-ce pas le propre d'un livre qui s'autorise des vues basées sur son seul énervement ? A propos d'un jugement de Truffaut qui estime les dialogues d'Audiard « cyniques et roublards », il tranche : « On ne dira jamais assez à quel point François Truffaut était un con. »
Surtout n'essayez pas de vous demander si Soral est plutôt de droite ou de gauche. Traité de « beauf » par « Marianne » et de « réac de gauche » par « Libé », l'auteur pense que, de toutes façons, « le pouvoir, c'est l'abus de pouvoir, le reste n'est que responsabilités. » Ce qui l'énerve avant tout, ce sont les micro-communautés qui tirent la couverture à elles et brisent la fraternité républicaine, ce en quoi il est proche du dernier livre d'Alain Minc**. Un rapprochement qui ne sera pas de son goût...
Parmi ces communautés, Soral a choisi sa cible préférée, faisant preuve à la fois d'originalité et d'un grand courage. Ainsi, curieusement, au mot « complot », il dit à propos du conflit israélo-arabe, qu'il y a sous-représentation des citoyens arabo-musulmans et à l'inverse « sur-représentation » de la communauté d'en face. Bref, ils sont partout.
Et de fait, c'est par dizaines que les mots clefs du livre renvoient sur le mode de l'obsession à la « question juive », le plus souvent de manière insidieuse. Au mot « humour » on lit : « Attali, BHL, Finkielkraut, Glucksmann... on reconnaît les faux sérieux à leur absence totale d'humour ». En effet, est-il expliqué, s'ils se risquaient à sourire, ils trahiraient « le relâchement du tartufe, la satisfaction de l'escroc ». On a bien sûr compris ce qui reliait ces quatre penseurs, on a compris que l'humour juif était un mythe, d'autant qu'en général on se tient les côtes en lisant les philosophes et les sociologues. On a compris que ce n'est pas par hasard que ces êtres condensent en eux l'hypocrisie visqueuse et l'escroquerie. Drumont*** reviens, tout est pardonné !

Mauvaise foi

Autre exemple de chef-d'œuvre de mauvaise foi : à Robert Badinter qui affirme avoir trouvé la substance de son opposition à la peine de mort « dans le judaïsme », Soral oppose comme un démenti les exactions du gouvernement israélien qui exécuta Eichman naguère et liquide les terroristes du Hamas aujourd'hui. Quel lien entre les sources spirituelles d'un juif et la politique d'un Etat, juif certes, mais qui en rien n'incarne son essence ? Rien, sinon l'amalgame crapuleux, le raccourci visant à faire de l'intox rapide.
Il ne manque au bouquet qu'une ou deux expressions empruntées au lepénisme le plus rance, telle « Shoah business » et un petit doigt de révisionnisme en allusion perfide. Eh bien, rassurons-nous, Soral connaît par cœur tous les chiffres des génocides, mais regrette que la loi Gayssot « interdise toute recherche approfondie » sur le génocide juif. Dans ce cas-là, comment peut-il affirmer qu'en ce qui concerne la France, 80 % des juifs échappèrent à la déportation, chiffre d'ailleurs volontairement truqué dans « le bon » sens, comme le montrent les travaux de S. Klarsfeld.
On le sent bien, Alain Soral prend la pose : celle du pourfendeur de la bien-pensance, de celui qui ose balancer des vérités gênantes, dont le combat finira par triompher « malgré ». D'où la mise en exergue du « Time is on my side » des Rolling Stones au début du livre.
Pour ce faire, il faut s'inventer des opposants, des obstacles qui empêchent la petite source vive de couler, l'écrasent sous la cendre asphyxiante des establishments. Hélas, il n'en est rien. On a surtout le spectacle de la manière dont un esprit corrosif, au lieu de « suivre sa pente en remontant » comme disait Gide, s'abîme très vite dans la haine ordinaire.

Editions Blanche, 234 pages, 15 euros.
* Editions Blanche, Paris 2002.
** « Epître à nos nouveaux maîtres », Grasset, 2003.
*** Auteur en 1886 du brûlot antisémite « la France juive ».

André MASSE-STAMBERGER

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7311