« CHAQUE maladie est un problème musical ; sa guérison : une solution musicale. Plus rapide et cependant complète est la solution, plus grand est le talent du médecin ». Sans aller jusqu’à reprendre à son compte cette formule du poète allemand Novalis, Pierre Lemarquis la cite en exergue d’un chapitre consacré aux effets thérapeutiques de la musique dans son livre « Sérénade pour un cerveau musicien ». S’appuyant sur les dernières études scientifiques mais aussi sur son expérience personnelle, il expose une série d’arguments en faveur des bénéfices de l’écoute musicale sur différents troubles, qui vont de l’accident vasculaire cérébral, aux douleurs aiguës ou chroniques, à l’anxiété ou à la dépression.
« L’un de mes plus extraordinaires souvenirs d’interne des Hôpitaux de Marseille fut de voir un jour le Pr Michel Poncet, grand spécialiste de l’aphasie, s’approcher d’un malade alité, lui prendre la main et lui chanter à l’oreille. Le patient, mutique depuis des jours à la suite d’un accident vasculaire cérébral, s’est alors progressivement mis à chanter avec lui, oubliant son handicap, le visage radieux et reconnaissant, au milieu de la surprise générale », raconte-t-il. Lui, le mélomane de toujours, ne pouvait qu’être impressionné par l’alliance inopinée de ses deux passions de l’époque.
L’ouvrage, qui se veut didactique, précis et argumenté, est d’ailleurs conçu comme une composition musicale avec ses cinq mouvements, son ouverture et sa coda, pimentée d’anecdotes et de traits biographiques. « La neurologie et les Beatles sont entrés dans ma vie pendant que Beethoven et Mozart se frayaient un chemin dans le cur de mon aîné si brillant », se souvient-il. L’aîné dont il parle est son premier maître, Benoît Kullmann : « Fin pédagogue, doté d’une immense culture neurologique, il cultivait à l’époque une ressemblance avec John Lennon – lunettes rondes, cheveux longs – et une passion parallèle pour le rock’n roll et la guitare électrique. » Il parlait des Rolling Stones et d’Eddie Cochran, lui répondait Jean-Sébastien Bach et François Couperin. Mais ils finirent par jeter un pont entre leurs deux univers.
Braise de résilience.
Neurologue, neurophysiologiste, neuropharmacologue, Pierre Lemarquis est aujourd’hui membre de la Société française de neurologie, de la Société de neurophysiologie de langue française et de l’Académie des sciences de New York, mais à 50 ans la musique l’accompagne encore. Organiste de 15 à 25 ans, il se remet au piano à 40 ans, « pour le plaisir », avoue-t-il. Mieux encore, il est vice-président de l’orchestre les Harmonies d’Orphée, conseiller scientifique de différents festivals de musique, dont celui de Santa Reparata, en Haute-Corse, et il n’hésite pas à se rendre dans les maisons de retraite, accompagné de son professeur de piano, apporter « un peu de bonheur » aux pensionnaires. Et, dans son cabinet qui, depuis dix-huit ans, fait face à l’opéra de Toulon, il lui arrive de pousser la chansonnette avec ses patients parkinsoniens, « qui, tout d’un coup se débloquent, le temps d’un refrain ». À ses patients atteints d’Alzheimer aussi. Car, contre l’avis « des caciques de l’alzheimerologie », qui ne croient pas aux vertus de la musique, lui est un fervent partisan de Boris Cyrulnik**, qui la compare à « une braise de résilience » et avec qui il partage une certaine complicité, depuis l’époque où, inscrit pour un diplôme de sexologie, ce dernier était venu exposer ses vues, alors inédites, sur l’attachement et la relation mère/enfant. Les deux hommes collaborent aujourd’hui au travers d’un groupe de recherche, Résilience et personne âgée, où il tente de réaliser une étude sur l’impact de la musique dans la maladie d’Alzheimer. « La musique est la grande oubliée du plan Alzheimer », regrette-t-il.
Plasticité cérébrale.
Pourtant, elle existe avant le langage, fruit de l’évolution et donc plus fragile. « De la musique avant toute chose », prophétisait Verlaine. Beaucoup d’arguments, notamment phylogénétiques, donnent raison au poète. Dans le cerveau, la musique chemine à travers ses propres circuits de mieux en mieux identifiés. « Le cerveau musical existe », affirme avec force le Dr Lemarquis. La mélodie à droite, l’harmonie et le rythme à gauche. « Après avoir eu le côté gauche du cerveau endommagé, Maurice Ravel perdit la capacité d’identifier les notes et d’écrire la musique, mais il fut toujours capable d’accorder un instrument et reconnaître les mélodies et surtout les timbres », souligne-t-il. Aujourd’hui, la neuroimagerie fonctionnelle permet un accès indirect aux zones qui s’activent chez le musicien ou le mélomane. C’est ainsi qu’a pu être mise en évidence la plasticité du cortex auditif, propriété essentielle qui rend possible l’apprentissage au-delà de l’acquisition d’une simple habileté musicale. La musique a cette capacité d’activer de nombreuses régions du cerveau « impliquées dans l’attention, la mémoire de travail et à long terme, tant épisodique, autobiographique que sémantique, la cognition, les fluences verbales et la richesse du discours, les capacités visuo-temporo-spatiales, la motricité et les émotions », explique Pierre Lemarquis.
Le premier à avoir eu l’intuition d’une plasticité cérébrale a été Frantz Joseph Gall. « Son erreur fut d’imaginer que cette adaptation pouvait se voir à l’il nu », les fameuses « bosses » n’étant que l’empreinte provoquée par les modifications cérébrales sur la forme du crâne. La personnalité et les capacités de chacun, visibles en un coup d’il, la phrénologie et ses dérives étaient nées. « Rejeté dans les poubelles de la neurologie », Gall eut pourtant le mérite d’énoncer le grand principe de la localisation cérébrale qui allait bouleverser la discipline. Fils d’immigrés italiens, il fit ses études de médecine à Strasbourg mais c’est à Vienne qu’il fit carrière dans le laboratoire d’anatomie d’un certain Van Swieten, qui découvrit le phimosis de Louis XIV et dont le fils fut l’un des plus fidèles mécènes de Mozart.
Effet Mozart.
Musique et neurologie. La capitale viennoise n’a gardé aucune trace de la rencontre, surtout aucune de Gall, comme ont pu le constater Pierre Lemarquis et son ami Maximilian Fröschel, compositeur viennois qui fut collaborateur d’Herbert von Karajan, avec qui il poursuit son aventure orchestrale, partis sur ses traces.
Mozart, occupe sans doute une place privilégiée dans la galerie de portraits dessinée dans la sérénade qui nous est proposée. Mozart le farceur, qui composa la fameuse sonate K 448, utilisée souvent pour ses effets sur la cognition et la créativité, pour son élève Josepha Aurnhammer. La jeune fille, très bonne pianiste, était amoureuse du maître, à qui elle demanda une sonate à quatre mains. Las, elle était affublée d’un défaut gênant : elle suait et sa sueur sentait mauvais. Mozart, taquin, composa un de ses « concertos qui mettent en nage » comme il les appelait, mais à deux pianos pour éloigner la demoiselle. En jouant de plus en vite, Mozart s’amusait à la faire transpirer à en « faire dégueuler ». Le fameux effet Mozart s’explique en partie par cet effet « stimulant recherché » et ne serait pas réservé à la seule musique du célèbre viennois. La musique naît des émotions ; en retour, elle engendre des émotions qui peuvent aller jusqu’aux frissons et au sentiment d’extase, activant le circuit cérébral de la récompense.
Anniversaire.
Le 27 janvier 2009, jour anniversaire de la naissance de Mozart, Pierre Lemarquis – on l’imagine jouant quelques notes sur son Bösendorfer entouré de ses chats – recevait un appel d’Odile Jacob. Neuf mois plus tard, son premier ouvrage sera sur les rayons des librairies. « Le jour de mes 50 ans », souligne-t-il, heureux de ce clin d’il de l’histoire. Mais il n’oubliera pas en incipit de citer les Beatles et leur sous-marin jaune, lui, qui, le jour de son mariage a revêtu le costume de sergent Pepper’s, en leur hommage.
* Pierre Le Marquis, « Sérénade pour un cerveau musicien », Éd. Odile Jacob, 224 pages, 23,90 euros.
** C’est à lui que revient le titre de l’ouvrage dont il est, avec Benoît Kullmann et Maximilien Fröschl, l’un des trois dédicataires.
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