Les portraits de l'été

Dr Corinne Hamel : « Devenir une femme m'a sauvée, tout autant que devenir médecin généraliste »

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Publié le 14/08/2019

Elle est née garçon, dans un milieu pas très porté sur les études. Deux désirs auront pourtant guidé sa vie entière : appartenir à la gent féminine, et devenir médecin. Le Dr Corinne Hamel, aujourd'hui généraliste en Charente-Maritime, a obtenu les deux, sur le tard. 

Combien de médecins peuvent se targuer d'avoir un BTS électronique ? L'omnipraticienne de 48 ans fait partie de ce club très select. « J'ai dès l'enfance voulu être médecin, captivée par ce soin donné à l'autre », assure celle qui a grandi dans « une famille très modeste en région parisienne ». Faute d'encouragement spontané de son entourage, et avec des notes moyennes à l'école, elle a opté pour une filière techno.

À quoi tient cette ténacité hors-norme qui réorientera son destin ? Il lui faut museler une grande souffrance. Celle de ne pas devenir ce qu'elle se sent être profondément : une femme. Pour oublier, quoi de mieux que l'immersion dans les études de médecine, longues, difficiles et passionnantes ?

Après une expérience comme brancardier et deux tentatives avortées au concours de première année, elle opte pour le métier d'infirmier. Nous sommes à la fin des années 90. En réa au Kremlin-Bicêtre, elle découvre « la surprenante machine humaine ». « Nous sommes des objets techniques très aboutis », s'émerveille le Dr Hamel. Cinq ans plus tard, elle retente médecine, cette fois avec succès. Elle tombe vite amoureuse de la médecine générale, par sa transversalité et sa proximité avec le patient. Diplômée en 2015, elle obtient le prix de thèse de de la faculté de médecine et de pharmacie de Poitiers. Depuis 2014, elle est salariée à Cardiocéan (Puilboreau, Charente-Maritime), clinique de réadaptation cardiovasculaire. 

Je ne fais pas partie de ces gens-là !

« Mon questionnement de genre a commencé entre mes 6 et 8 ans », raconte Corinne. Au primaire, elle comprend qu'elle n'est pas un "garçon" comme les autres. Elle déteste la violence de leurs jeux. Le sport et les jeux vidéo l'indiffèrent. L'univers des filles l'attire davantage, mais elle n'ose pas s'en approcher.

Le moment de la puberté est une rude épreuve. « Mon corps prenait un virage insupportable. Quand la voix change et que la barbe arrive, la vérité éclate sans pitié : vous n'évoluez pas comme les personnes auxquelles vous vous identifiez. » L'impossibilité de mettre des mots sur ces souffrances les aggrave. « Dans ma famille, dans les années quatre-vingt, pas question de parler de ça. La transsexualité était associée à la drogue, au VIH, etc. »

Adulte, elle rentre dans le moule. Fonde une famille, achète une maison. Et jugule de profonds épisodes dépressifs en se jetant à corps perdu dans le travail. À l’extérieur, on côtoie un bonhomme jovial, qui mange bien et fait des « blagues bien grasses » attendues de lui. À l’intérieur, ça bouillonne.

Le "père" de famille passe des heures sur Internet à se documenter. « J'ai un grand besoin de comprendre et d'intellectualiser », explique la quadragénaire. Elle finit bien sûr par tomber sur le phénomène transidentitaire. « Ce n'est pas possible, je ne fais pas partie de ces gens-là », se répètera-t-elle. 

Elle passe beaucoup de temps à lire en anglais. « En France, c'est le Moyen-Âge. Il ne se passe rien en termes de transidentité ». En 2005, les données médicales dédiées ont commencé à être publiées dans pas mal de pays… mais pas chez nous. « Dans l'Hexagone, le sexe c'est mal, on n'en parle pas », interprète la praticienne.

Mort sociale, et renaissance

En 2014, la tension est telle qu'elle souhaite « ne plus souffrir ». Elle prend peur. Elle appelle un centre bordelais qui applique le programme transgenre. Elle considère son premier rendez-vous psychiatrique comme le début de sa transition. Il était moins une : « A trois jours près, je n'étais plus là. » On lui confirme la nature de son problème : la transidentité. Elle commence un traitement hormonal un an après.

« Je suis une femme de 47 ans, née le 7 mai 2019 », expose son compte Twitter tout récent, où la suivent déjà presque 700 twittos. Le 7 mai, c'est le jour de sa reconnaissance civile en tant que femme. Aujourd'hui, elle n'est pas encore opérée. Elle doit d'abord perdre du poids. Mais déjà, le changement d'état civil est un soulagement énorme. « Devenir une femme m'a sauvée la vie tout autant que devenir médecin », affirme-t-elle.

 

 

Il faut toutefois des épaules pour passer par ce qu'elle appelle une « mort sociale ». Si elle a gardé sa compagne, elle a perdu toute sa belle famille. « Certaines personnes, par leur éducation, ne sont pas capables de passer ce pas. »

Elle ne pratique pas la médecine transgenre, mais son expertise documentaire est précieuse. Avec Medigen, son site Internet (en chantier), elle compte faire de la pédagogie sur les données cliniques auprès des professionnels de santé. Et contribuer à "démocratiser" la prise en charge des patients transgenres au sein du corps médical. Parce qu'ils connaissent bien leurs patients, les médecins de famille sont les mieux placés pour un tel suivi, estime Le Dr Hamel. Qui dénonce la toute-puissance, en France, des « huit équipes officielles » de la Société française d'études et de prise en charge de la transidentité (SoFECT), « pathologisante, psychiatrisante et pleine d'idées arrêtées ». Cette institution ignore les recommandations internationales qui encouragent une sorte de "sur-mesure" thérapeutique, souligne-t-elle. Là où en France, « la préoccupation principale reste de faire rentrer les gens dans des cases ».

Changer les regards de part et d'autre

« M'exposer n'est pas une fin en soi. J'ai besoin de parler de mon passé et de mon côté "trans" par nécessité », explique le Dr Hamel. Sa visibilité grandissante lui permet déjà d'affirmer son rôle de conseil informel. « Je reçois des messages de mamans "perdues", avec un enfant en dysphorie de genre (identification forte et permanente à l'autre genre associée à un mal-être psychologique). » Elle les oriente vers des personnes compétentes pratiquant la médecine transgenre.

Le Dr Hamel prône un travail sur deux fronts : il faut d'un côté changer le regard de beaucoup de médecins sur la transidentité, et de l'autre faire évoluer celui des patients transgenres sur le corps médical. « Cela me rend dingue de savoir que nombre d'entre eux ne vont pas voir le généraliste par peur du rejet. Les médecins ont, c'est vrai, bien maltraité les transgenres depuis les années soixante. Mais les mentalités changent. » Le rejet massif du corps médical par ces patients peut mettre en danger leur santé. « Il faut rester surveillé. À la base, un organisme féminin n'est pas fait pour recevoir de la testostérone. Un corps masculin n'est pas fait pour recevoir des œstrogènes, cela accroît son risque cardiovasculaire », rappelle la généraliste qui ne perd jamais de vue les données cliniques.

Pathologie ou problème social ?

« Je suis une femme trans, mais médecin aussi. » La santé est pour le Dr Hamel « un état de bien-être biopsychosocial. Or je me suis construite avec une vision de mon corps contraire à la réalité biologique. J'ai été à deux doigts d'en finir. Ce n'est pas être en pleine santé. » C'est même plutôt la définition d'une maladie, poursuit-elle : « Quelque chose vous empêche de vivre au point qu'il faille rechercher des solutions médicales. »

Dans la population générale, 0,6 % des personnes en moyenne seraient transgenres. Pour quelles raisons ? « Les causes sont inconnues mais d'après moi, elles pourraient être à la fois biologiques (hormonales) et sociales (rôle des parents) », estime Corinne Hamel. Une piste récente fait un rapprochement avec l'autisme, que l'on trouverait en plus forte proportion chez les personnes trans. Hélas, les premiers concernés fuient les études cliniques, ce qui d'après le Dr Hamel complique fortement la recherche en médecine transgenre, née voici seulement 40 ans. 

La praticienne invite les personnes en dysphorie de genre à consulter, et les généralistes à exercer une vigilance sur ce phénomène, afin d'identifier les besoins réels. Elle affirme n'avoir reçu aucun jugement de son entourage professionnel, ni des médecins qui l'ont prise en charge. « Je suis parfaitement intégrée dans la société. Ce n’est pas la fin d'une vie, c'est le commencement d'une autre. »  

 

 

 

 


Source : lequotidiendumedecin.fr