Pourquoi se révèle-t-il si difficile d’imposer des ratios de soignants par patient ?
Des échanges informels m’avaient laissé penser que les pouvoirs publics s’apprêtaient à reconnaître, non pas des ratios, mais la notion de seuil critique de personnels. Mais lors de l’allocution d’Emmanuel Macron, le 6 janvier dernier, j’ai été surpris que le sujet ne soit pas même évoqué. Les directeurs d’hôpitaux n’ont pas caché leur forte opposition aux ratios. Il s’agit là d’un point de désaccord avec la conférence des présidents des CME de CHU. Les directeurs craignaient surtout que le dispositif soit trop rigide compte tenu de la pénurie actuelle de recrutements : que fera-t-on lorsque les effectifs seront insuffisants ? Faudra-t-il fermer des lits ? C’est oublier que la réforme, si elle était adoptée, se déploiera sur plusieurs années. Ce n’est pas un objectif immédiat, mais une perspective à atteindre qui, précisément, est de nature à faire revenir à l’hôpital des infirmières. Certes les ratios ne sont pas la seule réponse au déficit d’attractivité de l’hôpital. Les rémunérations, l’ambiance dans les équipes, les marges de décision des services et de l’encadrement médical et paramédical (ce dernier est trop souvent en souffrance) sont aussi importantes, de même que la qualité de la formation des infirmiers, comme le rappelle le rapport de l’Igas publié en janvier dernier.
Rappelons également qu’il existe déjà des ratios en soins critiques, en dialyse. À l’époque où le Copermo* validait les plans d’investissement à l’hôpital, les négociations incluaient l’existence de ratios de soignants par patient, à savoir entre 12 et 15, même s’ils n’étaient pas précisés dans la loi. Si on étend les ratios à l’ensemble de l’hospitalisation MCO, il faudra bien sûr tenir compte des charges de travail variables par patient selon les services et les spécialités. La proposition de loi suggère de confier à la HAS la responsabilité de fixer les taux. Attention toutefois à l’usine à gaz ! L’idéal serait plutôt de donner des repères. Pour telle spécialité, un nombre maximal de patients par infirmière serait fixé.
La HAS serait-elle ici à la manœuvre ?
Ce premier travail peut relever des prérogatives de la HAS. Mais il faut aussi faire confiance aux cadres des services qui sont les mieux placés pour proposer des ratios adaptés aux spécificités locales, sur la base desquels s’instaurerait ensuite un dialogue de gestion avec le directeur d’hôpital. Pour autant, ce dispositif n’est envisageable qu’à condition de programmer une augmentation des budgets des hôpitaux. Là encore, cela ne sera pas réalisé en une seule fois et relève d’un plan pluriannuel. La marche serait trop haute.
En attendant, François Braun exprime son refus de cette réforme dans Décision & Stratégie Santé.
Les arguments des directeurs d’hôpitaux en raison des craintes que l’on vient de rappeler ont sûrement compté. Mais surtout les rappels budgétaires de Bercy pour contenir les coûts. Toutefois, en matière de santé, il ne faut pas oublier que les dépenses sont d’abord des investissements. Un système de santé en voie de fragilisation soulève en fait la question de la santé de notre société et de notre capacité à maintenir le tissu social. Notre attractivité économique repose aussi sur la qualité des services publics, la capacité à éduquer, à soigner. Depuis plus de dix ans, l’hôpital a été financé en dessous de ses besoins. Il y a un retard à rattraper.
La Californie a mis en œuvre cette réforme. Ce n’est pas un État qui prône l’augmentation des dépenses publiques.
Ils ont compris la nécessité de cette réforme. Nous avions des ratios de soignants, comme je l’ai signalé à l’époque du Copermo. À la suite de la pandémie Covid, le couteau sous la gorge, ils ont été améliorés. Au lieu de douze à quinze patients par infirmière, nous sommes désormais entre neuf et dix. Gravons ces nouvelles normes dans le marbre, de manière assumée, prospective. Arrêtons de poser des rustines, de prendre des mesures non pérennes. Il faut refaire des fondations pour l’hôpital public.
* Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l'offre de soins hospitaliers
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