L’ÉTUDE STAR*D, réalisée en contexte naturaliste, a été conçue pour tenter de définir une corrélation entre des profils de patients et des stratégies thérapeutiques.
La population était composée de patients âgés de 18 à 75 ans souffrant un épisode dépressif majeur avec un score à l’échelle de Hamilton de 17. Les patients avaient des comorbidités psychiatriques (troubles anxieux, troubles de personnalité, problématiques de dépendance) et il s’agissait pour 70 % d’entre eux d’un trouble dépressif récurrent ou chronique. Cette population (2 876 patients), très proche de celle que rencontrent généralement les psychiatres, différait sensiblement du type de patients inclus dans les essais pharmacologiques randomisés classiques qui ont généralement moins de comorbidités et moins d’éléments de chronicité ou de récurrence.
Le traitement de première ligne était mené avec un ISRS et suivi en cas d’échec par trois niveaux successifs de prise en charge. A la fin des 14 premières semaines de traitement 28 % des patients étaient en rémission (HAMD ≤ 7 ou QIDS-SR≤5) et 47 % avaient répondu et présentaient une diminution de 50 % du score initial. Au terme des 4 phases de stratégie de changement, les résultats cumulés ont montré que 70 % des patients étaient en rémission.
Les recommandations issues de STAR*D mettent en exergue plusieurs points. Tout d’abord, la nécessité de traiter au moins 12 semaines avant de modifier le traitement utilisé. Cet élément ne concorde pas avec les données de la littérature actuelle qui s’attachent aux résultats à 2 semaines comme éléments prédictif favorable d’une réponse thérapeutique à 6 ou 8 semaines. « Cependant, même si cette échéance paraît correcte, on sait que la sensibilité et la spécificité de ces résultats à 2 semaines ne sont que de 70 %, ce qui sous tend la perte d’un certain nombre de patients qui ne s’amélioreraient qu’entre 6 et 12 semaines », précise PM Llorca. L’intérêt d’augmenter les doses en fonction de la tolérance se dégage également des résultats. En revanche, les auteurs n’ont pu identifier de critères de choix spécifiques pour le deuxième antidépresseur. L’importance de la rémission comme objectif thérapeutique constitue le facteur de meilleur pronostic en terme d’évolution ultérieure. Ainsi et a propos des essais cliniques PM Llorca conclut « Même si les résultats de ce type d’essai clinique sont décevants pour la démarche thérapeutique pratique, ils ont l’avantage de refléter d’une part la situation vécue au quotidien par les cliniciens et d’autre part la véritable problématique d’un trouble qui reste difficile à prendre en charge ».
Quelle molécule choisir en première intention ?
En l’absence d’éléments suffisants comparant des molécules entre elles, la méta-analyse peut être une approche intéressante pour le choix d’un AD en première intention. C’est ce qu’ont fait Cipriani et al. En comparant 12 antidépresseurs de dernière génération sur 2 critères : l’efficacité, soit le taux de patients répondeurs à 8 semaines (réduction de plus de 50 % du score HAMD ou MADRS ou CGI), et l’acceptabilité en choisissant le taux de sortie d’étude (effets secondaires, manque d’efficacité, perdu de vue…). La fluoxétine était le composé de référence. « La limitation de l’étude porte sur le choix des critères de jugement, notamment de l’acceptabilité qui, insatisfaisants, peuvent produire un bruit de fond par rapport au signal attendu » note PM Llorca. Dans cette étude, l’escitalopram et la sertraline avaient le meilleur rapport efficacité/acceptabilité. Des résultats de ce type peuvent également être mis en perspective d’un point de vue médico-économique.
Que penser des recommandations professionnelles ?
Les recommandations médicales et professionnelles sont définies dans le domaine de la santé comme « des propositions développées méthodiquement pour aider le praticien et le patient à rechercher les soins les plus appropriés dans des circonstances cliniques données ». Les recommandations de la HADS sur la prise en charge des complications évolutives d’un épisode caractérisé de l’adulte (avril 2007) combinent des éléments scientifiques et thérapeutiques. Elles ne classent cependant pas les produits suivant leur niveau de preuve et la stratégie thérapeutique comme le font les recommandations canadiennes en cas de non réponse ou de réponse partielle à un premier traitement. Il faut cependant savoir que les stratégies d’établissement de niveau de preuve varie d’un pays à l’autre, ce qui produit un type d’information qui semble identique sans l’être en réalité. Les Australiens quant à eux classent l’intérêt des différentes stratégies psychothérapeutiques dans les épisodes dépressifs et au cours du traitement de maintenance.
Sur quels outils appuyer sa prescription ? « Il n’est pas simple d’ordonner toutes ces informations : méta-analyses, essais cliniques, recommandations. Le praticien se doit de rester circonspect, la littérature scientifique ne pouvant résumer l’ensemble des aspects de la prise en charge globale d’un patient dans son individualité ».
Effet protecteur des antidépresseurs sur le suicide lité.
La suicida lité et le virage de l’humeur représentent deux risques qui peuvent remettre en question l’utilisation des antidépresseurs.
L’émergence d’idées de suicide lors de l’instauration d’un traitement antidépresseur est rare, le risque majeur se situant dans les premières semaines de l’initiation ou du réajustement de la dose. Dans l’étude STAR*D, lors des premières 14 semaines de traitement, la fréquence d’émergence d’idées de suicide était de 6 % avec une évolution dans le temps. Parmi les antidépresseurs, certaines molécules exposeraient davantage au risque de comportement suicidaire. Chez les patients sous ISRS et ISRNA, le taux de suicide est inférieur à celui de l’ensemble des patients sous antidépresseurs alors qu’il est plus élevé pour les patients sous tricycliques. Par ailleurs, chez les sujets atteints de pathologies psychiatriques, l’idéation suicidaire comme les tentatives de suicide sont plus fréquentes chez les sujets jeunes traités par antidépresseur en comparaison à ceux qui ne sont pas traités. L’avancée en âge a un effet protecteur sur ces deux items avec une courbe de fréquence de la suicide lité et des tentatives de suicide qui décroît avec le temps.
Globalement, les antidépresseurs ont un effet protecteur sur la suicide lité. Celui-ci est de plus en plus marqué au cours de l’évolution de l’épisode et du traitement (3). L’Association mondiale de psychiatrie (WPA) conseille de ne pas restreindre l’utilisation des antidépresseurs chez l’adulte. Les ISRS n’exposent pas à un risque plus important que les autres antidépresseurs et sous réserve de respecter les bonnes pratiques de prescription, le rapport bénéfice/risque est toujours favorable. Pour Cougnard et al., « Prescrire un antidépresseur à tous les sujets déprimés diminuerait en France la mortalité suicidaire d’au moins un tiers ».
Des virages de l’humeur toujours à craindre
Un virage de l’humeur est toujours possible même sans antidépresseurs mais ces derniers (notamment les tricycliques et les associations) ont un effet significatif sur le risque d’hypomanie tant chez les patients atteints d’un trouble bipolaire que chez ceux qui souffrent d’un épisode dépressif majeur non identifié préalablement comme bipolaire. Les sujets les plus jeunes et dont l’épisode dépressif est prolongé dans le temps seraient les plus vulnérables et contrairement à l’idée reçue, il n’y a pas de protection absolue sous normothymiques. Il est possible que les virages de l’humeur qui s’observent lors des épisodes dépressifs majeurs concernent des patients dont le trouble bipolaire n’est pas diagnostiqué, d’où la nécessité de les identifier, particulièrement les bipolaires de type II (dépression associée à des phases hypomaniaques spontanées discrètes) voire de type III (dépression avec hypomanie induite par les antidépresseurs ou un autre traitement.
D’après les présentations du Pr Pierre-Michel Llorca, CHU de Clermont-Ferrand au cours du « Forum sur la dépression », organisé avec le soutien institutionnel du laboratoire Lundbeck
1-Cipriani A et al. Lancet 2 009 ; 373 : 746-58.
2-Gaynes BN et al. Cleveland Clinic Journal of Medicine 2008 ; 75 : 57-66
3-Gibbons RD et al. Annu Rev Public Health 2 010 ; 31 : 419-37.
4-Möller HJ et al. Eur Arch Psychiatry Clin Neurosci 2 008 ; 258 (Suppl 3) : 3-23.
5-Cougnard A et al. Psychol Med 2 009 ; 39 (8) : 1 307-15. Epub 2 008 Dec 9
6-Tondo L. Acta Psychiatr Scand. 2 010 Jun ; 121 (6) : 404-14.
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