Traitement du diabète de type 2

La HAS en rupture avec les recommandations internationales

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Publié le 28/03/2019
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DIABETE

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Crédit photo : PHANIE

Le diabète de type 2 (DT2) a connu une révolution thérapeutique ces dernières années, avec l’arrivée successive des agonistes du récepteur du GLP1 (arGLP1) et des inhibiteurs du cotransporteur sodium/glucose de type 2 (iSGLT2, ou gliflozines). Le mode d’action thérapeutique original de ces derniers (abaissement du seuil rénal de réabsorption du glucose) leur permet de réduire les glycémies (par l’induction d’une glucosurie) et le poids (de 3 à 5 kg), sans hypoglycémie. Et ce, quel que soit le niveau d'insulinosécrétion et de résistance à l'insuline : tous les patients sont répondeurs, dès lors que la masse néphronique est suffisante (DFG > 45 ml/min).

Les études de sécurité cardiovasculaire (CV) ont ensuite démontré un effet protecteur CV et rénal des molécules de cette classe, qui est désormais unanimement admis. Empa-reg outcomes avait ainsi relevé une réduction de près de 40 % de la mortalité CV, de 32 % de la mortalité totale, de 14 % des évènements CV majeurs et de 40 % du critère composite rénal avec l’empaglifozine. Les études Canvas (canaglifozine) et Declare-Timi 58 (dapaglofozine) fournissent des chiffres comparables, et ces bénéfices sont retrouvés dans les études observationnelles de vraie vie.

Toutes ces données ont conduit les sociétés savantes américaines (ADA 2 018) et européennes (EASD 2 019) à modifier largement leurs recommandations thérapeutiques, en individualisant les choix. Après échec de la metformine, elles envisagent deux cas : les patients avec, ou sans, maladie CV ou rénale. Pour les premiers, on associera en priorité un iGSLT2 si l’insuffisance cardiaque ou la maladie rénale est prédominante, alors qu’un arGLP1 ou un iSGLT2 peut être utilisé si la maladie athéromateuse prédomine. Pour les seconds, le choix du traitement antidiabétique d’association se fait en fonction du but clinique principal : éviter les hypoglycémies (iDPP4, arGLP1, iSGLT2 ou thiazide), perdre du poids (arGLP1 ou iSGLT2) ou limiter les coûts (sulfamide, thiazide).

Des recommandations inapplicables pour les praticiens Français puisque, contrairement aux autres pays Européens, à l’Amérique du Nord et à l’Asie, les iSGLT2 n’y ont pas été commercialisés. Au départ, la raison en était un désaccord avec les industriels sur le prix de ces molécules, certes destinées à être prescrites à une large cible… Coup de théâtre : le 27 février dernier, la commission de la transparence de la Haute autorité de santé (HAS) a rendu un avis sur l’empaglifozine concluant à un SMR insuffisant et un ASMR sans objet.

Cet avis s’appuie largement sur deux registres nationaux, suédois et danois (2), qui mettent en avant un signal de surrisque d’amputation (dapaglifozine et empaglifozine), d’acidocétose et de gangrène de Fournier, avec un effet classe dans ce dernier cas.

Des bénéfices et des risques

Outre leurs bénéfices, les iSGLT2 présentent en effet des risques. Des infections génitales (X 3 à 6 selon les études) et urinaires (inconstant : X 1 à 1,5) dont le mécanisme repose sur la glycosurie induite. L’acidocétose euglycémique (rare, X 2) est aussi un effet connu propre à la classe, « qui concerne en pratique des patients bien particuliers : très insulinopéniques (voire atteints en réalité d’un diabète de type 1 lent), dans un contexte chirurgical ou d’infection majeure », précise le Pr Patrice Darmon (Marseille), premier auteur d’une prise de position de la Société francophone du diabète sur le rapport bénéfices-risques de cette classe (1).

Un signal sur la déplétion volémique reste à confirmer mais invite à la prudence chez les patients très âgés, car la physiopathologie est cohérente (les iSGLT2 ont un effet natriurétique entraînant une baisse de 4 mmHg de la pression systolique et 1,6 mmHg en diastolique). De même pour le risque de fracture (rare, X 1,25 avec la canaglifozine).

Quant au risque d’amputation des membres inférieurs, bien que rare il a été significatif dans l’étude Canvas (+97 %), mais l’effet classe n’est pas évident, les études observationnelles sont discordantes et on ne dispose pas de démonstration causale.

Enfin, le risque de gangrène de Fournier, une fasciite nécrosante du périnée très délabrante, est très rare et reste à confirmer selon la SFD. L’étude randomisée Declare-Timi 58 avait relevé 1 cas dans le groupe dapaglifozine contre 5 dans le groupe placebo. Le comité d’évaluation des risques (Prac) de l’agence européenne du médicament (Emea) a quant à lui retenu 16 cas imputables, le conduisant à recommander d’inclure ce risque dans les RCP et de le rajouter au plan de gestion des risques. Concernant l’acidocétose et l’amputation d’un membre inférieur, le Prac conclut de même, en retenant un rapport bénéfices/risques favorable aux iSGLT2.

 

Un affrontement médico-économique

« Nous ne disons pas que les iSGLT2 ne présentent pas de risque, nous disons que nous pouvons les gérer, comme pour tout médicament, avec les plans de gestion des risques, souligne le Pr Darmon. On ne doit pas pour autant priver nos patients de ces médicaments qui retardent des complications graves, cardiovasculaires et rénales ». Si la HAS considère qu’il y a des alternatives – les arGLP1 essentiellement dans la maladie athéromateuse – la SFD souligne que ce n’est pas le cas, ni pour l’insuffisance cardiaque ni pour la protection rénale, alors que le diabète reste notamment le premier pourvoyeur de mise sous dialyse. Un avis partagé par l’Emea et toutes les autres sociétés savantes à l’étranger.

Y aurait-t-il une frilosité liée au coût de ces thérapeutiques ? Et peut-être au précédent des arGLP1, qui ont été commercialisés en France sans restriction, et sont aujourd’hui initiés majoritairement en médecine générale… avec une Cnam qui déplore qu’ils occupent une place plus large que celle que recommande la HAS, relevant qu’ils sont utilisés dans seulement dans 19 % des cas dans un but de prévention cardiovasculaire secondaire. Cela conduit les diabétologues à demander une commercialisation des iSGLT2 avec primoprescription réservée aux spécialistes. « On sent que quelque chose bloque, c’est certain », a reconnu le Pr Darmon.

 

 

 

Conférence de presse de la Société Francophone du Diabète, 19 mars 2019
(1) Patrice Darmon et al. Prise de position de la Société Francophone du Diabète : évaluation du rapport bénéfices-risques des inhibiteurs de SGLT2. Médecine et maladies métaboliques 2019, sous presse
(2) Ueda P et al. Sodium glucose cotransporter 2 inhibitors and risk of serious adverse events: nationwide register based cohort study. BMJ 2018 ; 363 : k4365 

Dr Charlotte Pommier

Source : Le Quotidien du médecin: 9736