La journée d'un généraliste : une comédie française

Publié le 06/04/2003
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La santé en librairie

Résumé

Le docteur, fatigué par une nuit d'insomnie, en route vers son cabinet, se dit qu'il est encore temps d'explorer une autre voie, sortir de la course à l'acte, prendre le temps de former, d'informer. Que ça commence aujourd'hui avec les 15, 20, 25 personnes qui vont venir le consulter. Le spectacle commence. Les saynètes se succèdent qui mettent en scène les misères d'Auguste et Simone, Latifah, Albert, Céline, Grégoire et beaucoup d'autres. La souffrance est de toutes les intrigues. La vedette (le docteur) se démène pour maintenir le rythme épuisant de la pièce, improvise, brille par son talent et son savoir-faire, a parfois le trac ou des trous de mémoire, est quelquefois applaudi avec chaleur mais joue aussi par moment, à son grand dam, les utilités. Plus la pièce avance, plus le spectateur perçoit la responsabilité des régisseurs et de la direction du théâtre dans le demi-échec ou la demi-réussite de la prestation : le décor est bancal, les lumières indécises ou peu flatteuses, les costumes trop petits, la salle a été mal aérée, l'entracte est trop court. Déçue mais pas désespérée, après la représentation, avant de saluer, la vedette vient, dans un long épilogue, expliquer aux spectateurs le sociodrame qui s'est joué devant eux et la médiocrité probable des représentations à venir.

Explications de texte

Christian Lehmann (« Patients si vous saviez... ») s'appuie sur le récit d'une de ses journées de médecin généraliste pour dire sans ambages le fond de sa pensée et montrer les coulisses de la pratique médicale. Tout omnipraticien reconnaîtra dans les saynètes qui constituent la première partie du livre ses patients remarquablement bien campés, sa salle d'attente et probablement ses difficultés avec des journées qui ne font que 24 heures. Pour le lecteur non médecin, le passage de l'autre côté du miroir sera sans doute ludique et instructif.
Cette plongée dans l'univers complexe et douloureux de la pratique quotidienne du généraliste mène logiquement à la seconde partie, récit d'une nuit d'insomnie propice à la réflexion du même généraliste.
Le fameux colloque singulier, « relation d'aide librement consentie entre deux individus » n'est plus qu'une fiction, dit-il. « L'irruption en son sein d'une multitude d'acteurs invisibles, légitimes ou illégitimes : gestionnaires de l'assurance-maladie, assureurs privés, journalistes, industriels du médicament, procureurs, lobbies l'a profondément modifié ».
Multiplication des mesures contraignantes pour les généralistes mises en place par les pouvoirs publics, absence de politique de santé publique concertée, médicaments mis en vente libre pour pousser à la consommation plutôt que pour aider les gens à se prendre en charge, pression publicitaire vis-à-vis du grand public, tendance à privilégier une logique médicamenteuse pour trouver une solution à des problèmes sociaux, carences d'information médicale continue indépendante, presse médicale soumise à la pression publicitaire sont pour l'auteur autant d'obstacles à bien soigner. C'est bien connu, la nuit, on voit tout en noir et les méditations de Christian Lehmann n'échappent pas à cette constante. Si elle est sévère, en règle générale, pour ceux qui détiennent le pouvoir, qu'il soit financier (l'industrie pharmaceutique dite « Big Pharma » est observée sous son jour le plus noir), médiatique ou politique, sa critique est argumentée et ne manquera pas de déclencher des débats qu'on espère féconds.
Les rapports entre les différents acteurs du monde médical doivent profondément changer, estime Christian Lehmann. Chacun a son rôle à jouer : les médecins doivent revendiquer une indépendance de connaissances et d'action, les malades cesser d'être infantilisés, les pouvoirs publics accompagner et non pénaliser, l'industrie pharmaceutique accepter une collaboration plus saine. « L'erreur est humaine mais l'humilité n'est pas réservée aux chimpanzés », dit avec humour Christian Lehmann. A chacun donc de faire son mea culpa.
Non pas rencontre d'une conscience et d'une confiance, selon la définition d'un président de l'Ordre des médecins dans les années 1950, mais rencontre de deux consciences et de deux confiances, la consultation médicale doit acquérir une nouvelle identité intégrant la responsabilité et l'esprit critique de celui qui est soigné.
« Patients si vous saviez... » est une pièce en plusieurs actes, un mélange de réalité et de fiction proposé par un généraliste qui aime son métier mais en déplore l'évolution. Qui dit drame, dit peut-être rebondissements possibles. Soyons donc bon public.

« Patients si vous saviez.... Confessions d'un médecin généraliste », Christian Lehmann, Editions Robert Laffont, 300 pages, 20 euros.

Dr Caroline MARTINEAU

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7310