La lutte d'une superobèse de 200 kg pour maigrir

Publié le 31/03/2003
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PRATIQUE

Plusieurs régimes

Son père pèse 80 kg pour 1,70 m, sa mère était forte ; elle est décédée quand Nathalie avait 8 ans ; l'une de ses soeurs pèse 140 kg. Un des frères est décédé d'un abcès, l'autre a fait un infarctus à 40 ans. Sa sœur est diabétique ; sa mère l'était.
Elle a fait de multiples régimes, a été hospitalisée déjà deux fois.

Alimentation désordonnée

L'alimentation est désordonnée ; elle ne prend ni petit-déjeuner ni déjeuner, mais des collations type café au lait (un litre de lait par jour), un dîner copieux et des quantités importantes de chocolat. Elle ne travaille pas et habite un petit village français.

Lapsus

Elle fait un lapsus lors de notre première consultation (d'une heure et demie) qui m'oriente vers une possibilité de maltraitance subie dans la petite enfance. La jeune femme est vive malgré son surpoids qui l'immobilise presque totalement.

Gastroplastie

Une gastroplastie type Masson est bientôt décidée. Elle est opérée en janvier 2002 à 220 kg. En février, elle pèse 206 kg, elle mange trois petits repas par jour plus les collations. Elle peut rester plus longtemps sur ses jambes. En mars, elle pèse 195 kg, se sent fatiguée. L'alimentation est insuffisante, mais la patiente se sent nettement mieux psychologiquement.

L'ordinateur

L'achat d'un ordinateur va lui ouvrir les portes de la communication : elle va devenir « accro du chat... » et, grâce à cela, développer ses possibilités de communication, ce qui sera de plus en plus perceptible au fur et à mesure de nos consultations.
En mai, elle pèse 186 kg, va bien, est maquillée, a changé de coupe de cheveux. Elle mange toujours trop peu, est bien sûr polysubstituée (minéraux et vitamines). Elle est à 40-50 grammes de protéines par jour (grâce au litre de lait).

« Je revis »

En août, elle pèse 174 kg : « Avant, c'était toujours noir... Je prends plus soin de moi. Je profite, je suis plus ouverte. Je bouge mieux. Je dors moins maintenant, avant je dormais de 10 à 12 heures par jour. Je revis... Je fais des courses. Je me montre, je n'ai plus aucune honte. »
Une abdominoplastie est décidée en raison de la très grande gêne ressentie par la patiente. Elle va être réalisée par deux équipes de l'Hôtel-Dieu (pièce opératoire de 13 kg). En novembre, elle pèse 155 kg : « Il n'y a plus mon ventre à traîner, plus le claquement du ventre sur les cuisses. Quand je dors sur le côté, il n'y a plus mon ventre qui tombe sur le côté. Je n'avais jamais mis aucun de mes trois enfants sur mes genoux... Ça fait bizarre, c'est émouvant. J'ai fait du shopping pendant deux heures. »
L'alimentation est toujours défectueuse, il n'y a qu'un vrai repas par jour parce que la patiente n'a pas faim, est dans un état semi-nauséeux. Je n'insiste toujours pas trop sur l'alimentation car la patiente a beaucoup de postes de transformation à gérer.

Féminité

En décembre, elle pèse 149 kg. Contre mon avis, elle choisit d'avoir une réduction mammaire. Elle désire retrouver une certaine forme de féminité. Cette intervention a lieu fin janvier 2003. Elle en est très heureuse, mais se sent très fatiguée, ce qui était prévisible. Le contexte familial s'est totalement dégradé, son mari est en train de devenir alcoolique. Elle envisage de divorcer, mais ne se sent pas encore capable d'assumer seule les trois enfants. Elle réussit enfin à manger trois repas par jour. Elle pèse 141 kg le 14 février.

Choisir

Le plus complexe pour moi a été au fur et à mesure des mois de choisir différentes stratégies. Par exemple, d'accepter que la patiente soit dans une forme de jeûne, donc en véritable malnutrition pendant plusieurs mois, cela parce que plusieurs deuils, inconscients, étaient en train de se faire, non accompagnés par la parole, et de tabler sur le fait qu'elle referait trois repas. D'accepter sa demande de réduction de tablier abdominal alors qu'elle allait bien sûr continuer à maigrir. J'aurais dû refuser sa demande de réduction mammaire en janvier, mais cela lui a permis de voir que mes objections étaient fondées.

Petit village de campagne

Entre l'idéal de l'équipe multidisciplinaire que l'on peut instaurer facilement en ville et la réalité crue d'un petit village de campagne, il y a quelques univers. Il convient pour le médecin de ne s'engager dans la traversée que si l'on est muni de plusieurs passeports : nutritionnel, médical, psychologique, social... en sachant que l'on peut toujours se tromper.
L'histoire ne se bornant pas, comme on l'aura compris, à une perte de kilos, fussent-ils de cent, mais à la transformation de la vie d'un être et de toute une famille, à de multiples « réparations », psychologiques et esthétiques quand elles ne peuvent pas être civiles ou pénales.

Dr Annie LACUISSE-CHABOT Endocrinologie, diabétologie, nutrition, Paris

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7306