La rhétorique et les faits

Publié le 07/04/2003
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La guerre contre l'Irak n'était pas souhaitable, mais elle a eu lieu. Elle n'est pas finie et fait beaucoup de victimes. Mais la coalition anglo-américaine l'emportera contre les forces de Saddam Hussein, ne fût-ce que parce qu'elle n'a pas d'autre choix : on ne voit pas comment deux armées, dont l'une au moins est la plus puissante du monde et l'autre ne peut envier à la première que sa puissance de feu, pourraient se laisser battre.

Le reste n'est que rhétorique. Il est donc étonnant qu'un certain nombre de gouvernements aient tenté d'obtenir un cessez-le-feu des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Les deux belligérants l'auraient accepté qu'ils auraient trahi une immense faiblesse, ou avoué leur défaite : on ne se lance pas dans une opération militaire d'une telle envergure, on n'en paie pas le prix en hommes et en matériel, on ne résiste pas au tollé mondial pour s'arrêter en chemin.

Changement de destin

C'est une guerre historique dans le sens où elle va changer le destin du Proche-Orient, en bien ou en mal. Et la seule chose à faire, en l'occurrence, c'est de prendre la mesure de ce changement et s'y adapter, bon gré, mal gré, et de faire en sorte qu'il soit plus utile que catastrophique.
La multiplication des manifestations pacifistes ne saurait modifier le cours des événements ; l'attitude d'un grand nombre de médias, très sévères pour la coalition sans rappeler la nature du régime irakien, ne fera qu'encourager l'opinion dans une hostilité stérile, surtout quand la guerre sera terminée.
Les gouvernements, pour leur part, savent mieux calculer la direction du vent. Mais sauront-ils arrêter une protestation qu'ils ont encouragée par leur attitude ? Et ne perdront-ils pas alors ce qu'au début ils ont gagné en popularité ? Jacques Chirac, par exemple, est beaucoup plus silencieux qu'au début de la crise et a chargé le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, de rappeler que nous sommes les « amis » des Américains et des Anglais. Mais pour un pays qui a conduit la charge diplomatique contre les Etats-Unis, le propos est peu convaincant. Il est moins destiné à l'Amérique qu'aux manifestants dont il faut dénoncer les nombreux dérapages : soutien à une dictature, amalgame avec la crise isaélo-palestinienne, attaques contre des juifs.
Cela n'a pas empêché la France, l'Allemagne et la Russie de réitérer leur appel à un cessez-le-feu, alors même que Colin Powell tentait de renouer les liens avec l'Europe et de la ramener dans le jeu diplomatique.
Le rôle de la Russie est inacceptable. Elle a rasé la Tchéchénie et n'a que le droit de se taire. Aussi bien Paris et Berlin devraient-ils éviter d'en faire une partenaire privilégiée dont le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle n'augmente pas le crédit de la politique antiguerre. En revanche, la France et l'Allemagne ripostent par une obstination sans failles à l'entêtement américain. Elles continuent à se battre contre la politique du fait accompli. Ce serait admirable si leur position n'était condamnée par le cours de la guerre lui-même. Quelles que soient leurs motivations profondes (elles ne sont pas toutes de nature morale), elles contribuent maintenant à la prolongation d'une guerre qu'elles n'ont pas empêchée. On a donc tout lieu de croire qu'elles agissent au nom de leurs intérêts particuliers que pour s'opposer vraiment aux projets de George W. Bush. En tout cas, jusqu'au dernier jour, Saddam Hussein n'aura cessé de presser le citron du pacifisme et des divisions atlantiques, de bénéficier des virevoltes de la Turquie, de sacrifier des vies irakiennes pour tenir un jour, une heure, une minute de plus. Aussi « amicaux » que nous soyons à l'égard des Anglo-Américains, nous faisons objectivement le jeu de Saddam, même s'il est désespéré et proche de sa fin politique.

Le retour de l'ONU ?

Plus intéressante est la proposition de Dominique de Villepin et de Joshka Fischer de transférer la gestion de l'Irak à l'ONU après la guerre. M. Powell ne s'est pas engagé sur ce point, mais il y a matière à débattre. Il y a eu un deuxième attentat-suicide en Irak, où la différence entre civils et militaires est impossible à établir. Peut-être que les Américains ne souhaiteront pas rester trop longtemps dans ce pays, une fois qu'ils se seront débarrassés du dictateur. De toute façon, et quoi qu'ils en pensent, ils feraient mieux de partir vite s'ils ne veulent pas déclencher une vague d'émeutes ou même d'insurrections dans le monde arabo-musulman. Non seulement la guerre ne doit pas durer, mais leur présence même dans la région est insupportable pour les opinions arabes.
Leur objection viendra sans doute de la forme même de leur projet : ils voudront s'assurer qu'est établi à Bagdad un régime démocratique. Ils ne partiront pas avant qu'il soit mis en place. Ce qui est sûr, c'est que l'Europe peut jouer un rôle essentiel pour l'après-guerre si elle arrête aujourd'hui de contrecarrer les Etats-Unis. Colin Powell a montré qu'il ne tenait pas rigueur à ses « alliés » de leur comportement avant et pendant la guerre. Mais il a un patron, beaucoup moins ouvert à la concertation, passablement rancunier et qui a été très irrité par les attitudes turque et européennes. C'est George W. Bush qu'il faut convaincre non pas en s'opposant à lui encore une fois, mais en lui montrant que ses plans étaient erronés pour la guerre et que, pour la paix, ils peuvent l'être une fois encore.

Richard LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7311