Assistance médicale à la procréation

L'âge du père en débat

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Publié le 29/09/2016
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Crédit photo : PHANIE

Le point commun entre Yves Montand, Charlie Chaplin, Nicolas Sarkozy, Johnny Hallyday, Pablo Picasso, ou encore Anthony Quinn ? Une paternité tardive. Un fait qui peut interroger dès lors qu'il y a demande d'assistance médicale à la procréation (AMP). Si l'assurance-maladie fixe l'âge limite de la prise en charge des femmes à 43 ans, elle ne dit mot sur les hommes, qui doivent être « en âge de procréer ». Mais qu'est-ce qu'un homme en âge de procréer ?

Médicalement parlant, « il n'existe pas de synthèse relatant un risque cumulé, qui intègre toutes les pathologies » que pourrait rencontrer un enfant dont le père est avancé en âge, résume le Dr Geoffroy Robin (gynécologie, andrologie et médecine de la reproduction au CRHU de Lille).

En matière de physiopathologie, une revue de la littérature parue en 2010, montre bien un lien entre un âge avancé et des altérations de la fonction endocrinienne, de l'activité sexuelle, de la morphologie testiculaire, de la qualité du sperme (baisse du volume de l'éjaculat, diminution de la motilité ou morphologie), et de la qualité de l'ADN spermatique.

« On observe une décroissance réelle mais lente des capacités de reproduction pour les hommes à partir de 34 ans », poursuit le Dr Robin, y voyant une explication à l'allongement significatif du délai de procréation au-delà de 50 ans, et évoquant les risques de fausse couche.

La littérature sur l'âge paternel avancé dans l'AMP reste pour autant « abondante mais peu claire », explique-t-il. Quant aux conséquences sur la santé des enfants, le Dr Robin fait état d'un risque significatif de développer des anomalies cytogénétiques, dont une trisomie 21, d'une multiplication par 8 d'achondroplasie quand le géniteur a plus de 50 ans (« c'est une maladie rare, aussi le nombre de cas est très modéré en valeur absolue », nuance-t-il), par 1,6 du cancer du sein quand le géniteur est plus que quarantenaire, et entre 1,4 et 4,6 du risque de développer des troubles schizophréniques - sans oublier les recherches sur les liens avec l'autisme, les troubles bipolaires, ou les mutations de novo

Impossible généralisation

Sur le plan psychologique, l'âge du père ne trouve pas de traduction univoque. Observant sa patientèle, le psychiatre Serge Hefez dresse un constat tout en nuance : certes, les pères âgés sont renvoyés à leur finitude lorsqu'ils tiennent dans leurs bras un nourrisson. Mais cela ne signifie pas que les tous les bébés ressentent leur angoisse. Et les pères peuvent aussi compenser par le sentiment d'avoir enfin du temps à consacrer au nouveau-né, rapporte le Dr Hefez. À l'adolescence, le rejeton peut atténuer son opposition face à un père qui serait à ménager ; mais ces conflits peuvent se renouer dans les familles recomposées. « On ne peut généraliser l'impact de l'âge du père sur l'enfant. Souvent ils ont à cœur de tisser une relation forte avec l'enfant, ce qui entre en balance avec les points négatifs », résume Serge Hefez. Il reconnaît néanmoins qu'une telle paternité remet en question les normes de la société, jusqu'à provoquer des séparations dans les familles, où des pères âgés enfantent en même temps qu'un fils ou une fille issu d'une première union. « Affleure alors le problème de l'inceste et de Peau d'âne : le papa roi qui ne veut pas lâcher sa place », conclut Serge Hefez.

Vers un remboursement lié à l'âge ?

La médecine ne permettant pas de trancher net quant à la pertinence d'une limite à la paternité, le débat se fait éthique, du moins sociétal. L'équipe de Joëlle Belaish-Allart (chef du service de gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction, Centre hospitalier des 4 villes, Saint-Cloud) a sondé les médecins (trouvant d'ailleurs plus d'écho chez les femmes que les hommes). Si seulement la moitié d'entre eux plaide pour une inscription dans la loi, une majorité de gynécologues (80 %) et de spécialistes de l'AMP (plus de 85 %) est favorable à ce que l'assurance-maladie conditionne le remboursement à un âge limite. « Garder le flou de la loi peut être une façon de préserver l'autonomie des équipes, pourquoi pas », commente le Dr Belaish-Allart. Plus de 85 % des 244 spécialistes de l'AMP sondés estiment qu'un « homme en âge de procréer » a moins de 60 ans (81 % chez les hommes, 89 % chez les femmes).

Dans les faits, plus de 84 % des praticiens disent prendre en compte l'âge de l'homme dans les demandes d'AMP, les femmes la fixant davantage à 55 ans que les hommes plus libéraux, qui voient au-delà des 60 ans, constate Joëlle Belaish-Allart. Le sujet continue à faire débat : plus de 40 % des spécialistes de l'AMP disent ne pas être parfaitement aux faits des conséquences d'un âge avancé du père sur l'enfant et plus d'un tiers n'en informe pas les couples.

Un groupe de travail au sein de l'Agence de la biomédecine (ABM) planche actuellement sur la question, dans la perspective d'un prochain plan d'action en AMP et de la révision de la loi de bioéthique. En 2006, la tentative de faire mention de l'âge du père dans le guide de bonnes pratiques avait avorté, a rappelé le Dr Belaish-Allart. 

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9521