L’amitié, tout un art !

L’amitié n’est synonyme de douceur. N’est pas qui veut Montaigne et La Boétie ! Elle se brise parfois contre les rivalités, les conflits idéologiques, les aléas de la vie. En littérature en témoigne au hasard la déchirure Sartre/Camus, au cinéma Truffaut/Godard et en peinture Manet/Degas. La très belle exposition actuellement au Musée d’Orsay réussit à travers des œuvres d’art à incarner si l’on ose dire charnellement, cette histoire entre deux artistes et où s’écrit accessoirement un chapitre de l’invention de la peinture moderne en France, à Paris. Les thématiques s’échangent alors entre les deux peintres, voire les modèles. Le visiteur peut ainsi voir accrochés côte à côte La Prune (Washington, National Gallery of Art) d’Edouard Manet et Dans un café [dit aussi L’Absinthe], Paris musée d’Orsay. Les deux peintres ont choisi le même modèle, l’actrice Ellen Andrée et un lieu identique, le café de la Nouvelle-Athènes. Rarement on aura vu deux œuvres si différentes, la première exprimant une lumineuse mélancolie, la seconde illustrant une déchéance. Ce partage de thématiques agacera Degas. En 1897, il lâchera après la lecture d’un texte d’Antonin Proust : « Ce Manet ! Dès que j’ai fait des danseuses, il en a fait… […] Il n’a jamais pu qu’imiter. » Il ne faut pas s’arrêter à ces mouvements d’humeur. D’autant que l’amitié comme l’amour est parfois inégale. Si l’on compte de nombreux portraits de Manet brossés par Degas, l’inverse n’est pas vrai. Ce dialogue court sur une période de plus de vingt ans depuis leur rencontre au Louvre autour d’un tableau de Velasquez. Il se poursuit après la mort de Manet par la fièvre collectionneuse de Degas qui réunit, à son domicile privé, de nombreuses œuvres de Manet en dépit de leurs différends. Degas acquiert entre autres une copie d’Olympia, le célébrissime tableau de Manet réalisé par Paul Gauguin. Cette banale histoire humaine se double enfin d’une autre histoire où s’écrit un nouveau chapitre de l’art nouveau avec ce sens du cadrage, quasi cinématographique et du mouvement saisi, capté sur le vif par Edgar Degas. On complétera la visite par le riche catalogue, même si certaines piques de Stéphane Guégan envers une lecture critique féministe de Degas manquent leur cible.

Exposition Manet/Degas, Paris musée d’Orsay jusqu’au 23 juillet 2023, puis au Metropolitan Museum of Art de New York, du 24 septembre 2023 au 7 janvier 2024. 
Manet/Degas, sous la direction de Stéphane Guégan et Isolde Pludermacher, catalogue de l’exposition, 288 pages, relié, éditions Gallimard. 45 euros.
Manet/Degas, œil pour oeil, 104 pages, 16 euros.