Médicaments

Le pictogramme « femmes enceintes » enfin révisé

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Publié le 06/03/2023
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L’Agence nationale de sécurité du médicament se penche sur les pictogrammes « femmes enceintes » apposés sur certains conditionnements de médicaments. De premières pistes de réflexion se dégagent pour favoriser l’information des femmes et des prescripteurs.

Crédit photo : GARO/PHANIE

La silhouette féminine – de profil, au ventre rond, main sur la hanche, accompagnée de la mention « ce médicament + grossesse = danger » ou « ce médicament + grossesse = interdit » – apposée sur certaines boîtes de médicaments a-t-elle vécu, du moins dans sa forme et sa réglementation actuelles ? Alors qu’un comité scientifique temporaire (CST) de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) dédié à la révision du pictogramme « femmes enceintes » s’est réuni pour la première fois fin février, des évolutions sont en tout cas attendues.

Depuis sa création en 2017, ce pictogramme est controversé, diverses voix, comme celle du Crat, s’étant rapidement élevées pour demander sa révision. Même parmi les experts de l’ANSM, le dispositif ne fait pas l’unanimité, rapporte le Dr Sylvain Bouquet, généraliste à Lamastre (Ardèche), vice-président du Collège de la médecine générale et membre du CST.

Une « protection » médico-légale parfois abusive

Car comme le souligne le praticien, il peut être apposé ou non par les industriels en toute liberté et sans critère précis de tératogénicité ou fœtotoxicité. Le dispositif semble ainsi utilisé comme une « protection » médico-légale parfois abusive. Alors que seules « 10 % des spécialités (…) relèveraient du pictogramme « Interdit », 60 à 70 % ont un pictogramme « Interdit » ou « Danger » », critique le Cran, qui dénonce « un bruit de fond » délétère.

Avec à la clé, le risque que certaines patientes atteintes de maladies chroniques suspendent leur traitement sans avis médical. Dès 2017, la Société de pneumologie de langue française (SPLF) alertait sur une tendance des patientes asthmatiques enceintes à « interrompre (d’elle-même) leur traitement après avoir constaté la présence du pictogramme « xxx + grossesse = danger » sur les boîtes ».

Dans le même esprit, le dispositif peut compromettre l’observance de traitements prescrits pendant la grossesse. Le Dr Bouquet évoque à ce titre l’aspirine, qui reste indiquée dans la prévention de la prééclampsie malgré la présence du pictogramme. « Certaines femmes voient le pictogramme et décident de ne pas prendre le médicament », déplore le généraliste.

Le symbole peut aussi cristalliser les discussions entre patientes et prescripteurs, ajoute le Dr Bouquet. D’autant qu'il existe un certain flou autour du pictogramme puisque ne sont explicitées ni les données ayant conduit les laboratoires à apposer le pictogramme, ni la nuance entre « danger » et « interdit ». « De plus, le pictogramme n’apparaît pas sur tous les médicaments d’une même classe, ce qui ajoute encore à la confusion », relève la SPLF.

Mieux définir les critères d’apposition du pictogramme

Dans ce contexte, le groupe d’experts sur la grossesse et les médicaments de l’ANSM a souhaité que l’agence reprenne la main sur le pictogramme. D’où la création d’un CST dédié qui a d’ores et déjà identifié plusieurs axes d’évolution du dispositif.

Le premier concerne les « critères de risque entraînant l’apposition d’un pictogramme ». L’objectif est « d’harmoniser les définitions autour des notions de risque de tératogénicité et fœtotoxicité (risque avéré, incertain, etc.) en vue de déterminer les critères qui justifieraient l’apposition ou non (d’un pictogramme) », indique l’ANSM.

Pour ce faire, des critères de classement du risque tératogène ou fœtotoxique déjà existants pourraient être réutilisés, indique le Dr Bouquet, qui évoque par exemple les six niveaux de précautions mentionnés dans les RCP des médicaments (associés à des critères précis). À noter que selon le Dr Bouquet, quelques questions se posent quant à la prise en compte, au-delà de la tératogénicité et de fœtotoxicité, du risque de trouble neurodéveloppemental – absent des classifications classiques.

Un nouveau pictogramme attendu pour 2024

La forme du pictogramme pourrait aussi être revue. Mais avant toute modification, le CST envisage de lancer « une enquête d’opinion » sur la perception du pictogramme afin de caractériser (sa) compréhension et le comportement induit. Comme l’explique le Dr Bouquet, les sources d’incompréhension et d’arrêt de traitement semblent très diverses et méritent d’être mieux caractérisées. « Certaines patientes comprennent que le « danger » est pour leur enfant à naître, d’autres pour elles-mêmes, etc. »

Concernant la distinction peu claire entre « danger » et « interdit », celle-ci pourrait disparaître. « Nous n’avons pas encore officiellement abordé ce point mais nous nous réservons la possibilité de créer plusieurs pictogrammes, avec par exemple les mentions « interdit » mais aussi « attention », voire « autorisé pendant la grossesse » », indique le Dr Bouquet.

Quoi qu’il en soit, le nouveau pictogramme – attendu en 2024 – ne devrait pas, aux yeux du Dr Bouquet, remettre en cause la nécessité de mieux anticiper la grossesse. « Il faut considérer que toute femme non ménopausée est une femme enceinte potentielle, et choisir d’emblée, lorsqu’on introduit un nouveau traitement chez une patiente (en âge de procréer), les médicaments qui poseraient le moins de problèmes possible en cas de grossesse. »


Source : lequotidiendumedecin.fr