Effets de lumière

Le sommeil, une question d’éveil

Publié le 08/01/2016
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Depuis l’éclairage jusqu’à celle projetée par l’écran des smartphones, l’effet de la lumière a fait l’objet de nombreuses communications lors du dernier Congrès sur le sommeil à Nantes. Comme on vit sa journée, on dort.
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Crédit photo : VOISIN/PHANIE

« En 2040, serons-nous toujours diurnes ? », s’est interrogé le Pr Patrick Lemoine, psychiatre à Lyon lors du Congrès du sommeil, organisé notamment par la SFRMS (Société française de Recherche et de Médecine du Sommeil) qui s’est déroulé à Nantes en novembre dernier.

Chez les ados, en tout cas, la tendance ne va pas dans ce sens si l’on en juge par les résultats de l’enquête effectuée par le Dr Sylvie Royan-Parola (psychiatre, Paris) auprès de collégiens de 13 ans d’âge moyen. Après le dîner, 50 % d’entre eux passent plus d’une heure sur écran et après le coucher 25% y restent. 1/4 des collégiens y passent plus d’une heure, 10% plus de 2 heures Et, plus surprenant, 10% programment même un réveil en cours de nuit pour se connecter et le restent plus d’une heure ! Ces habitudes reculent l’heure du coucher, diminuent la durée du temps de sommeil avec pour conséquences dans la journée une diminution des performances physiques et intellectuelles, des troubles de l’humeur et un risque de prise de poids et de baisse de l’immunité. Avec 85,2% des jeunes qui ont un téléphone portable dont 66,7% un smartphone, notre société a sérieusement tendance à se décaler. « Se coucher plus tard, c’est repousser les limites de la nuit et se donner un espace de liberté », conclut le Dr Royan- Parola.

Trop connectés ou trop illuminés ?


Au-delà de la stimulation générée par le contenu d’internet susceptible de perturber le rythme veille-sommeil, c’est l’évolution actuelle de l’environnement lumineux et en particulier la généralisation des écrans qui interroge les spécialistes. Comme le rappelle le Pr Claude Gronfier (INSERM, département de chronobiologie, Lyon), « la lumière affecte bien plus nos rythmes biologiques que n’importe quelle molécule médicamenteuse et en particulier, la lumière artificielle semble très impliquée dans la dette de sommeil qui touche nos sociétés modernes ». La sensibilité de notre système circadien et de nos fonctions non visuelles à la lumière est très élevée. La lumière affecte différentes fonctions telles que le sommeil, l’éveil, la cognition et l’humeur en les activant ou en les inhibant. Or les spectres lumineux modernes (fluorescence, Led) ont plus d’impact que les anciennes lumières.

Le système circadien possède une horloge centrale dont l’activité endogène n’est pas exactement de 24h, mais qui est synchronisée sur 24h grâce à la lumière. Cette synchronisation permet de contrôler les rythmes biologiques, en particulier la veille et le sommeil par l’intermédiaire de la sécrétion nocturne de mélatonine, de la baisse de la température et de la sécrétion de cortisol en fin de nuit.

La synchronisation de cette horloge biologique par la lumière s’effectue via des cônes (vision de jour) et des bâtonnets (vision de nuit) mais aussi par des cellules ganglionnaires à mélanopsine situées dans la rétine. Ces dernières sont reliées aux noyaux suprachiasmatiques par un système nerveux différent de celui impliqué dans la perception visuelle. Le signal transmis à l’horloge interne provoque la remise à l’heure du cycle pour le synchroniser sur 24h. Ce même signal est aussi transmis à d’autres structures cérébrales dites « non-visuelles », qui sont notamment impliquées dans la régulation de l’humeur, de la mémoire, de la cognition et du sommeil. Suivant l’heure d’exposition à la lumière, l’horloge est avancée ou retardée, le maximum de sensibilité de l’horloge circadienne à la lumière se situant au moment du coucher ou du lever.

L’impact du spectre lumineux sera très différent suivant sa nature. Le spectre de lumière solaire est très efficace sur l’ensemble des fonctions visuelles et non visuelles. Les cellules à mélanopsine sont sensibles à la région bleue du spectre lumineux en supprimant la sécrétion de mélatonine et en faisant chuter la somnolence avant le coucher, d’où un retard de l’endormissement.


Le spectre fluorescent contient peu de bleu et influe à peine sur le non-visuel. Le spectre à Led est, en revanche, riche en bleu et sera très efficace sur les fonctions non visuelles. La lumière des écrans à Led est très riche en lumière bleue. Il est donc déconseillé d’utiliser les écrans le soir avant le coucher car ils provoquent un retard d’endormissement avec une altération du sommeil et une moins bonne vigilance au réveil. La lumière, bien qu’elle ne soit pas la seule responsable de la dérive de nos rythmes circadiens, en est donc un élément clé.

L’insomnie, un problème d’hyper-éveil


L’insomnie, la plus fréquente des pathologies du sommeil est le plus souvent primaire, c’est-à-dire sans rapport avec une affection somatique ou psychiatrique, selon la définition du DSM. Elle peut être déclenchée par un événement stressant qui entraîne un conditionnement négatif par rapport au sommeil. La peur de ne pas dormir déclenche une réaction négative par rapport aux signaux habituels d’endormissement et provoque, au contraire, une réaction d’hyper-éveil qui empêche l’endormissement. Plus le patient pense à dormir et plus cette pensée l’éveille.

Comme l’explique le Pr Damien Léger (Centre du sommeil, Hôtel-Dieu, Paris): « l’hyper-éveil chez les insomniaques résulte d'un déséquilibre entre la sur-stimulation des systèmes d'éveil et la capacité de déclencher un sommeil périodique au cours de la nuit ». Cet hyperéveil a une composante biologique, certaines recherches ayant montré l'augmentation de la cortisolémie chez les insomniaques chroniques.

Il se manifeste physiologiquement. Lors des enregistrements polysomnographiques on retrouve une abondance de rythmes alpha combinés aux autres rythmes présents dans le sommeil lent. Depuis les travaux de Tononi sur « le sommeil local », on sait que certaines parties du cortex peuvent être endormies alors que d'autres sont en stade d'éveil. L’hyper-éveil se traduit aussi de manière comportementale, l'hyperactivité de nos journées, la labilité des tâches, l'emploi d'internet jusqu'au bout de la soirée rendant le relâchement et le sommeil complet difficiles. « Cet hyper-éveil permet aussi de comprendre pourquoi certains insomniaques ont eu l'impression de ne pas dormir lors d'une nuit d'enregistrement alors que leur sommeil était objectivement normal », conclut le Pr Léger. 

Dr Pascale Ogrizek

Source : lequotidiendumedecin.fr