C'est un échec qui est aussi celui du partenariat conventionnel et qui prouve une nouvelle fois tout « l'archaïsme » du système : deux principaux syndicats médicaux, la CSMF surtout mais aussi, dans une moindre mesure, le SML, ont rapidement tiré les leçons de ces négociations conventionnelles qui jusqu'à présent n'ont abouti à aucun résultat tangible pour les spécialistes. D'où la conclusion évidente pour les responsables de ces deux organisations : le système conventionnel actuel, fondé sur des discussions entre les représentants des salariés et des médecins, est à bout de souffle. Il faut en changer.
Plus facile à dire qu'à faire. Car ce système, en vigueur depuis des décennies, a quand même permis de bâtir un dispositif qui a fait ses preuves et servi aussi bien les intérêts des assurés que ceux des médecins. Il a encore ses défenseurs. Ne serait-ce qu'au sein des syndicats de salariés, attachés à ce dispositif de concertation.
« Le système, explique ainsi André Hoguet, représentant de la CFTC à la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), n'est pas au bout du rouleau, loin s'en faut, même s'il est vrai que la politique actuelle menée par la présidence de la caisse, crée des difficultés. » Car André Hoguet n'a pas de mots assez durs pour critiquer la manière dont les responsables de la CNAM, le président Spaeth, « mais aussi, dit-il, le directeur Daniel Lenoir et leurs staffs ont conduit la négociation avec les médecins sans aucune concertation au préalable avec le conseil d'administration et sans concertation sérieuse avec les médecins ».
« C'est le règne de la pensée unique », fustige-t-il encore, en rappelant que son syndicat et trois autres centrales de salariés, la CGC, FO et la CGT, avaient mené avec trois organisations de médecins (la CSMF, le SML et la FMF avant que celle ci ne quitte le groupe), toute une série de discussions pour tenter de bâtir un système cohérent.
Pour André Hoguet, même s'il ne le dit pas aussi clairement, c'est donc l'attitude des responsables actuels de la CNAM qui menace le système conventionnel.
Une situation « invivable »
Du côté des syndicats médicaux majoritaires, on est encore plus dur. « La situation est invivable », dit le Dr Dinorino Cabrera, pour qui le fait que ces discussions conventionnelles soient la plupart du temps « consacrées à des accords de type exclusivement salarial montre toute la limite de leur efficacité ». Pour le président du SML, le pouvoir de décision de l'assurance-maladie n'existe plus, surtout depuis le départ du patronat du conseil d'administration. « Aujourd'hui, dit-il, l a CNAM est dirigée par un seul syndicat de salariés et une petite organisation patronale. On ne voit pas ce qu'elle pourrait décider d'important. D'autant que l'assurance-maladie n'est maître ni des recettes ni des dépenses. Il faut changer le mode de fonctionnement du système ; aujourd'hui, ça ne marche pas, ça ne colle pas. »
Le Dr Michel Chassang, président de la CSMF, est sur la même longueur d'onde, parfois même plus radical. « Le système est à bout de souffle, dit-il. Les méthodes de négociations sont archaïques, dépassées, inadaptées, elles sont d'un autre temps. » Et le président de la confédération de dénoncer des séances de discussions où « l'on a, dit-il, les dernières propositions des caisses au dernier moment, où rien n'est clair, précisé, vraiment chiffré. On entre en séance en se disant que l'on va passer la nuit. Une heure après, c'est fini. Rien n'est construit, rien n'est sérieux. Il faut tout changer ».
La critique est sévère, mais les propos d'André Hoguet ne le sont pas moins, lorsqu'il dit que le conseil d'administration n'est au courant de rien et souvent mis devant le fait accompli. Reste que ce même conseil a rejeté à la majorité le principe de la liberté tarifaire. Sans qu'on lui ait forcé la main. Si ce partenariat conventionnel est dénoncé, comment le rénover ou le remplacer ? Pour le président de MG-France, la rénovation du système conventionnel est déjà en marche, avec notamment la mise en place de l'accord-cadre interprofessionnel, le socle commun conventionnel à l'ensemble des professions de santé. « Une innovation essentielle », insiste le Dr Pierre Costes. Certes, mais cela suffit-il ? « Je n'imagine pas, ironise-t-il quelque peu, que l'on va changer la loi, parce que les spécialistes du secteur I ont des problèmes. »
Le rôle de l'Etat
Changer la loi, changer les système, André Hoguet ne le veut pas non plus, contrairement à la CSMF et au SML, qui voudraient clairement que l'Etat et le gouvernement aient un rôle accru dans le déroulement des négociations, même si, et c'est un secret de polichinelle, qu'il est déjà bien présent aujourd'hui et agit parfois en sous-main.
Alors, quelle différence ? « Il faut laisser les partenaires conventionnels discuter encore plus librement, répond Pierre Costes. Avec l'assurance-maladie, on négocie, avec l'Etat on se concerte. Je préfère négocier qu'être concerté ; je préfère organiser qu'être organisé, je préfère gérer qu'être géré. »
Ce sont des mots, réplique Michel Chassang, lorsque l'on sait que, en définitive, « les décisions sont prises ou approuvées au niveau du gouvernement qui aura toujours raison en dernier ressort. Alors, discutons réellement avec ceux qui ont le pouvoir ». Ce qui ne signifie pas, ajoute-t-il, conciliant, « qu'il faille faire disparaître les caisses ». Reconnaissons quand même que la différence n'est pas bien grande.
C'est dans ce cadre que la réforme de la Sécurité sociale en préparation prend une importance particulière. « Elle devra établir une nouvelle gouvernance de l'assurance-maladie », affirment de concert Dino Cabrera et Michel Chassang. Le gouvernement ne pourra ignorer complètement cette demande, faute de quoi il pourrait éprouver de fortes désillusions très rapidement.
Au moment où il a tant besoin des syndicats, notamment de la CFDT, dans la perspective d'une réforme des retraites, on voit mal Jean-Pierre Raffarin et Jean-François Mattei prendre des décisions qui ne pourraient que fortement les contrarier. Là encore, la marge de manœuvre est étroite.
Mais le débat ne fait que commencer.
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