Les académies : non au principe de précaution dans la Constitution

Publié le 31/03/2003
Article réservé aux abonnés

C'est une promesse électorale du candidat Jacques Chirac : doter la Ve République d'une charte de l'environnement totalement constitutionnelle, ou d'une accroche constitutionnelle avec un renvoi à une loi organique, ou encore d'une mention dans le corps-même de la constitution.

Si, au départ, plusieurs options juridiques s'offraient dans la forme au gouvernement, avec à la clé, dans tous les cas, une révision de la Constitution, l'affaire s'annonçait consensuelle à l'arrivée, autour des notions très fédératrices de développement durable et de principe de précaution.
Précisément, pour bien traduire ce souci de réunir le consensus le plus large entre les scientifiques, les juristes et l'opinion, la ministre de l'Ecologie et du Développement durable, Roselyne Bachelot, nommait l'été dernier le paléontologue Yves Coppens à la tête d'une commission de 18 membres. Pendant neuf mois, se sont succédé des débats dans les régions (« le Quotidien » du 26 février), des réunions de groupes d'experts, des colloques scientifiques et techniques, une consultation par questionnaire sur Internet (www.charte.environnement.gouv.fr), ainsi que des assises territoriales. Jean-Pierre Raffarin y célébrait « la défense de la planète », « une vision humaniste de l'écologie », la nécessité d' « un droit de l'homme à l'environnement ». Et le Premier ministre, décrivant « l'honnête homme du XXIe siècle » comme « celui qui jardine son expérience jusqu'à la clarté », de souhaiter à Yves Coppens de « bien jardiner sa commission ». C'est raté : la commission qui devait remettre sa copie la semaine dernière pour que le Conseil des ministres avalise le texte le 4 juin (selon la feuille de route fixée par Jacques Chirac) s'est divisée et ses membres se sont fâchés.

Texte inacceptable

Un texte aurait été adopté le 20 mars, mais plusieurs membres de la commission en dénoncent les termes : Bernard Rousseau (France Nature Environnement), affirmant que « cela ne se passe pas bien », s'insurge contre le fait que « le principe de précaution, qui figure pourtant dans la loi Barnier de 1995 sur l'environnement ainsi que dans plusieurs traités internationaux, ne figurera pas en tant que tel dans le dernier texte proposé. Non plus que n'est mentionnée la notion de biodiversité ». « Pour moi, dit encore M. Rousseau, ce texte n'est pas adopté. » Le jugeant également « inacceptable », Christian Brodhag (directeur de recherche à l'Ecole des mines de Saint-Etienne), autre membre de la commission, annonce la publication d'une autre version, « contradictoire et alternative ». Et Corinne Lepage en remet une couche : « On perd vingt ans avec une charte qui ne fait pas le lien entre santé et environnement », estime l'ancienne ministre de l'Environnement.
Dans ce clash entre « les adorateurs de la déesse nature et les ayatollahs du scientisme, comme dit Michel Petit, vice-président du comité environnement de l'Académie des sciences, notre compagnie avait naturellement voix au chapitre, Yves Coppens étant d'ailleurs l'un de ses membres ».

Des enjeux scientifiques considérables

Ancien directeur de la recherche à l'Ecole polytechnique, Michel Petit explique pourquoi le débat, à ses yeux, va bien au-delà d'une simple querelle sémantique et recèle des enjeux considérables : « Un terrorisme s'est emparé des esprits, entraînant de la part de certaines juridictions des condamnations au motif que le risque doit commander l'abstinence thérapeutique. Partant de là, c'est la fin de toutes les vaccinations. C'est la mise au rebut des molécules, parce qu'elles comportent toutes un effet nocif possible. C'est la faillite de la pharmacopée. C'est scientifiquement absurde. »
Pour contrer cette « dérive antiscientifique », les académiciens des sciences montent donc au créneau comme un seul homme. Ils viennent d'adopter à l'unanimité un texte que « le Quotidien » s'est procuré et qui fustige un « principe de précaution dont l'application, du fait de ses difficultés d'interprétation et des dérives existantes, peut être un frein au progrès et s'opposer à l'intérêt général. Certaines décisions de justice ont été fondées (sur ce principe) compris comme l'interdiction d'agir si la moindre possibilité d'une conséquence négative de l'action peut être crainte. Une acception aussi extrême d'un principe considéré comme fondamental pourrait conduire à des décisions aussi absurdes que de renoncer à toute mesure pouvant avoir un effet négatif ».
Dans ces conditions, l'Académie des sciences « recommande que le principe de précaution ne soit pas inscrit dans des textes à valeur constitutionnelle car il pourrait induire des effets pervers, susceptibles d'avoir des conséquences désastreuses sur les progrès futurs de notre bien-être, de notre santé et de notre environnement ».
Quai Conti, on aborde aussi d'autres problèmes, avec des références à la géographie ou à la géologie, pour souligner que les continents bougent, que des espèces meurent quand d'autres apparaissent, dénonçant « les tenants d'un droit à l'immuabilité déguisé en concept de développement durable ». L'Académie de médecine, quant à elle, ne se prive pas, depuis des années, de dénoncer « l'idéologie du principe de précaution », obstacle, selon elle, à la démarche scientifique et à l'innovation technologique. Elle souligne ses dérives dans divers domaines médicaux, par exemple les suspensions de vaccination, ou les investigations génomiques abusives dans le domaine transfusionnel.
Dès 1998, le Pr Georges David tirait la sonnette d'alarme, avec son rapport « La médecine saisie par le principe de précaution ». En 2000, l'alerte était déclenchée par un groupe de travail dirigé par les Prs Claude Sureau et Guy Nicolas ; il s'élevait, dans ses conclusions, contre l'extension du principe de précaution à la médecine de soins, à la santé publique et à la recherche, et ceci sans concertation aucune avec le corps médical.
C'est tout naturellement une nouvelle mise en garde contre un principe qu'elle juge dévoyé et flou que la rue Bonaparte va lancer ce matin, à l'occasion d'une conférence de presse convoquée sur la question.
Si Roselyne Bachelot semble encore très attachée à faire mention dans le texte définitif du principe de précaution, c'est Jacques Chirac qui devra trancher entre les académies et la ministre. Et au final, s'agissant d'une réforme constitutionnelle, c'est le Congrès qui statuera, à moins que les Français ne soient appelés à voter par référendum.

Pourquoi pas un comité consultatif national de l'environnement ?

Un « Comité consultatif national de l'environnement », qui réunirait en son sein des représentants des milieux scientifiques, économiques et juridiques, ainsi que des milieux associatifs, de la société civile, des grandes familles politiques et des grands courants de pensée. Telle est la proposition faite, à l'unanimité, par l'Académie des sciences, pour venir à bout de la diversité, la complexité et la gravité des problèmes soulevés.
Cette nouvelle structure serait à même de traiter toutes les questions dans toutes leurs dimensions : définir les conditions de l'expertise scientifique, évaluer les objectifs, les moyens et les résultats des recherches, élaborer des méthodes décisionnelles et le contrôle de l'efficacité, de l'absence de nocivité et du coût des mesures étudiées, analyser les sujets à soumettre au Parlement, se concerter avec les milieux européens et internationaux.
Somme toute, un nouveau comité consultatif national d'éthique, ciblé sur l'environnement.

Christian DELAHAYE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7306