Prescriptions

Les antibiotiques au banc des accusés

Publié le 28/11/2014
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Au-delà du constat d’un excès persistant de prescriptions d’antibiotiques en France, le bilan mérite, selon l’ANSM, d’être affiné. Quelles sont, en médecine de ville, les pratiques les plus délétères ? Et comment les améliorer ?

Crédit photo : GARO/PHANIE

Le mal est entendu : la France continue de prescrire trop d’antibiotiques. D’où une émergence de « super-bactéries » résistantes, une multiplication des cas d’infections difficiles à traiter et un risque d’impasses thérapeutiques. Or « 70 % des antibiotiques sont prescrits par des généralistes en ville », rappelle le Dr Pauline Jeanmougin, médecin généraliste et chef de clinique à l’Université Paris Diderot.

En médecine de ville, « la consommation observée en 2013 [s’établit] à un niveau légèrement supérieur à celui de 2003 », résume l’Agence Nationale de sécurité du médicament (ANSM). En 2013, elle s’élevait à 30,1 DDJ* pour 1 000 habitants et par jour, contre 28,9 en 2003. Soit une hausse de 4,4 %, qu’il convient de confronter avec les données de l’Assurance Maladie.

Car les prescriptions d’antibiotiques par les médecins traitants semblent plutôt avoir baissé entre fin 2011 et juin 2014, selon les derniers résultats de la ROSP. Contactée, l’Assurance Maladie explique en partie cette divergence par les outils de mesure qui diffèrent, le calcul de la ROSP reposant notamment sur le nombre des prescriptions des seuls médecins traitants et concerne leur patientèle âgée de 16 à 65 ans sans affection chronique. « Ces indicateurs correspondent à deux approches différentes et complémentaires. Ils présentent chacun des intérêts et des limites contribuant à une réflexion plus globale », note l’Assurance maladie.

Trois périodes à distinguer

Dans l’évolution récente de la consommation française d’antibiotiques, trois périodes sont à distinguer. D’abord un mouvement de baisse qui « coïncide, en grande partie, avec le premier plan "antibiotiques" (2001-2005) et la 1re campagne nationale de l’Assurance maladie à destination du grand public. » Puis une évolution « irrégulière mais globalement stable », entre 2005 et 2009. Enfin, depuis 2010, une reprise de la consommation. Selon l’ANSM toutefois, la progression de 2013 peut en partie s’expliquer par l’incidence des infections hivernales, « beaucoup plus marquée qu’en 2011 ou 2012. »

La consommation d’antibiotiques en France reste très supérieure à la moyenne en Europe, comme cela a encore été rappelé par l’Ansm à la mi-novembre. Or « chaque gramme d’antibiotiques consommé induit une pression de sélection sur les bactéries de la flore commensale (digestive, vaginale...), ce qui favorise l’émergence de résistances. C’est pourquoi il est si important de faire baisser la consommation totale en antibiotiques », relève Sophie Vaux (InVS).

« Je ne suis pas persuadée que tous les généralistes aient mesuré la gravité de la situation, admet Pauline Jeanmougin. Il y a longtemps eu un problème de formation médicale initiale sur l’antibiothérapie. Et les recos évoluent tous les deux à quatre ans. Il est très difficile de se mettre à jour ! »

Pour aider les généralistes, le Dr Jeanmougin a travaillé en 2011 au lancement du site gratuit : Antibioclic - élaboré par le département de médecine générale de l’université Paris-Diderot et le service des maladies infectieuses de l’hôpital Bichat. « Nous synthétisons les recos nationales pour répondre aux interrogations des médecins durant la consultation : pour cette pathologie et ce profil de patient, quel antibiotique ? En 2014, nous avons eu 2 000 visiteurs par jour », se réjouit Pauline Jeanmougin. Les trois appareils anatomiques les plus consultés sont la sphère ORL, les appareils urinaire et pulmonaire. Mais Antibioclic semble surtout utilisé pour une mise à jour des connaissances. « Je ne suis pas sûre que nous touchions les médecins non sensibilisés à ces enjeux. »

Gare à l’association amoxicilline-acide clavulanique

Des enjeux particulièrement sensibles pour certaines classes d’antibiotiques. L’InVS et l’ANSM pointent ainsi, dans leur rapport conjoint du 18 novembre, « un usage important des pénicillines qui demeurent les antibiotiques les plus consommés » et, surtout, « une progression préoccupante, car génératrice de résistances, des associations de pénicilline, notamment l’association amoxicilline-acide clavulanique ». En ville, entre 2003 et 2013, la consommation d’amoxicilline seule a augmenté de 34,9 % et celle d’amoxicilline-acide clavulanique de 34,8 %. « Les antibiotiques les plus à risque d’induire des résistances sont ceux qui ont un spectre très étendu et qui diffusent largement au sein de la flore digestive », résume Sophie Vaux.

Certaines évolutions sont positives. Par exemple, « on note une évolution plutôt favorable pour les résistances chez le pneumocoque en ville, se réjouit Sophie Vaux. Ce pourrait être lié à un meilleur usage des antibiotiques, mais surtout au développement des vaccins anti-pneumococciques ».

Affections des voies respiratoires, infections urinaires et otites sont les trois infections qui génèrent le plus de prescriptions d’antibiotiques en médecine de ville. Par ailleurs, les femmes représentent 59,3 % des prescriptions d’antibiotiques en ville. Or la plus grande source d’inquiétude vient des entérobactéries. Parmi elles, la fameuse E. coli, responsable de la plus fréquente infection bactérienne en ville et à l’hôpital : l’infection urinaire. « Chez les entérobactéries, on observe une très forte augmentation de la résistance aux céphalosporines de 3e génération. C’est très clair au niveau hospitalier, moins en ville », note Sophie Vaux.

En France, on observe aussi un début d’émergence des EPC, ces « entérobactéries productrices de carbapénémases », hautement résistantes aux carbapénèmes, traitements de dernier recours. Si leur diffusion parait à ce jour limitée, « nous sommes dans une situation d’alerte, d’autant que des pays voisins comme l’Italie ou la Grèce sont dans des situations beaucoup plus complexes », avertit Sophie Vaux.

En 2012, une étude européenne menée en médecine de ville, publiée dans The Lancet, a donné des résultats troublants. Les auteurs ont analysé les prélèvements nasaux effectués chez 32 000 patients (non hospitalisés dans les trois mois précédents) qui avaient consulté leur généraliste pour un problème non infectieux. Résultats : « l’Espagne, la Hongrie et la France étaient les trois pays où il y avait le moins de germes sans résistance. Leur taux était de 19 % en France, contre 30 % aux Pays-Bas », résume le Dr Didier Duhot, membre de la Société française de médecine générale (SFMG).

En novembre 2013, une liste « d’antibiotiques critiques » a été publiée par l’ANSM : elle comprend l’amoxicilline-acide clavulanique et des antibiotiques de dernier recours comme les carbapénèmes. « À terme, il faudra probablement contrôler la prescription et la délivrance de certains de ces antibiotiques », estime le

Dr Jeanmougin.


Florence Rosier

Source : Le Généraliste: 2700