« la Sorcière d'avril », de Majgull Axelsson

Les blessures de l'enfance

Publié le 07/04/2003
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Elles sont quatre femmes. Ou plutôt trois qui mènent ce qu'il est convenu d'appeler une existence normale, avec ses hauts et ses bas, tandis que la quatrième est confinée sur un lit d'hôpital, incapable de parler ni de marcher.

Elles sont quatre sœurs. Ou plutôt trois à avoir trouvé un foyer chez tante Ellen après avoir connu une enfance douloureuse : battues, torturées, négligées par leurs « vraies » familles ; la quatrième, l'handicapée pourtant appelée Désirée, étant la seule fille biologique de tante Ellen mais qu'elle a délaissée dès sa naissance. Ses sœurs adoptives ignorent son existence et encore plus qu'elle a décidé de se venger de celles qui lui ont volé l'amour de sa mère.
La situation on le voit est dramatique à souhait. Et l'on est plein de compassion pour Christina, qui a cru surmonter le traumatisme des brûlures infligées par sa mère en devenant médecin mais qui ne supporte pas le contact des corps ; pour Margareta, nourrisson abandonné dans une buanderie, devenue physicienne mais toujours mal à l'aise, avec les hommes en particulier ; ou pour Birgitta, qui revit le parcours de sa propre mère - la prostitution, l'alcool, l'abandon de l'enfant.
Réunies par le hasard des circonstances lorsqu'elles étaient enfants, les petites filles d'hier ont préféré rompre les fragiles liens qui les unissaient en grandissant ; au mitan de leur vie, alors qu'Ellen est disparue depuis longtemps, elles assument chacune leur destin - avec plus ou moins de bonheur et de difficultés.
Jusqu'au jour où chacune reçoit une lettre anonyme qui les touche là où ça fait le plus mal et ravive les pires douleurs du passé, celles qu'elles ont tout fait pour oublier. Les plus secrètes aussi, que seule l'une ou l'autre « sœur » pouvait connaître.
Ce que Birgitta, Christina et Margareta ignorent, c'est qu'elles ne sont que des marionnettes manipulées par Désirée - qui communique en soufflant dans un tuyau pour écrire sur un écran d'ordinateur - avec la complicité d'un médecin un peu particulier. Ce que personne ne sait, c'est que Désirée est une sorcière d'avril. « Une sorcière d'avril, pour Majgull Axelsson, a toujours un corps faible et handicapé, mais un esprit supérieur ». « Elle a la faculté de voir à travers le temps, de flotter dans l'espace, celle de se cacher dans des gouttes d'eau ou dans des insectes tout comme de prendre possession d'êtres humains. En revanche, elle n'a pas de vie propre. Son corps est toujours frêle, incomplet, immobile ».
Peu importe que l'auteur ait repris cette invention d'une nouvelle de Ray Bradbury. Désirée est persuadée qu'une des sœurs vit la vie qui lui était destinée, et elle veut savoir laquelle ; le médecin complice veut savoir, lui, le rôle qu'a joué chacune le jour de la mort de tante Ellen. Pour l'auteur, ce coup de pouce du fantastique n'est qu'un moyen poétique de sonder au fond l'âme de ses personnages et le mal-être féminin. Une grande réussite.

Editions JC Lattès, 526 p., 20 euros

Martine FRENEUIL

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7311